Eau de boisson: normes à revoir

Richard, A.M., Diaz, J.H. and Kaye, A.D. (2014) Reexamining the risks of drinking-water nitrates on public health. The Oschner Journal 14, Fall 2014, 392-398

(voir l'abstract ici)

Les auteurs américains [La Nouvelle-Orléans, Louisiane, USA] se proposent de réexaminer les risques sanitaires éventuellement liés aux nitrates présents dans l’eau de boisson.

Pour rendre compte de la méthémoglobinémie du nourrisson, on a, pendant des décennies, uniquement incriminé les nitrates présents dans l’eau de boisson En réalité, comme le montrent les travaux de recherche, interviennent également des déficits enzymatiques d’origine génétique, des hémoglobinopathies héréditaires et surtout, ce qui constitue finalement la cause la plus fréquente, une synthèse endogène d’oxyde nitrique NO élevée à l’occasion d’infections digestives, les systèmes de protection assurant, chez le nourrisson, la réduction de la méthémoglobine étant alors dépassés [For decades, infantile methemoglobinemia was blamed solely on nitrates in the drinking water used to prepare infant formulas, but research has implicated genetic enzyme deficiencies, inheritable hemoglobinopathies and periodic generation of nitric oxide levels high enough to overpower protective methemoglobin-reducting systems during acute gastrointestinal infections as the most common causes of infantile methemoglobinemia (Avery, 1999)].

Puisque, disent les auteurs, les travaux de recherche sur la méthémoglobinémie du nourrisson réfutent le rôle des nitrates exogènes présents dans le biberon et mettent l’accent, au contraire, sur la synthèse endogène de nitrite NO2- à la suite d’anomalies génétiques ou encore à la suite d’une synthèse intestinale accrue d’oxyde nitrique NO lors de gastro-entérites, on peut penser que la concentration maximale admissible des nitrates NO3- dans l’eau de boisson, fixée depuis 1962 aux Etats-Unis à 44.3 mg NO3- l-1 (ou 10 mg NO3-N l-1), est maintenant à réexaminer [Because research refutes exogenous nitrate-to-nitrite sources as causes of infantile methemoglobinemia and supports endogenous nitrite production secondary to genetic abnormalities or nitric oxide generation in an inflamed infant gut as causative mechanisms for infantile methemoglobinemia, perhaps the current maximum contaminant level for nitrate in drinking water of 10 mg/L (or 10 ppm) should be revisited].

Commentaire du blog

L’article mélange le vrai et le faux.

Il est exact, comme A. Avery l’a souligné en 1999, que, chez le jeune nourrisson, la diarrhée infectieuse est capable de donner lieu à l’apparition d’une méthémoglobinémie. Activant la synthèse endogène d’oxyde nitrique NO, la gastro-entérite infectieuse du nourrisson augmente la synthèse endogène en nitrite et en nitrate. Chez le nourrisson, la méthémoglobine réductase a, on le sait, une faible activité. La synthèse endogène accrue en nitrite NO2- est à l’origine d’une élévation du taux de méthémoglobine.

Il est inexact, par contre, de dire que les travaux de recherche ont complètement innocenté les nitrates des eaux de boisson dans leur ensemble, eaux de puits incluses. 

L’erreur principale des auteurs est, en réalité, de ne pas avoir compris le rôle joué par les bactéries et, de ce fait, de ne pas distinguer le cas de l’eau de puits de celui de l’eau d’adduction publique.

Quand les nitrates proviennent d’une eau de puits, on ne peut exclure a priori l’éventualité que le puits soit sordide et que son eau soit bactériologiquement contaminée. Si, outre les nitrates, cette eau contient plus de 106 germes ml-1, les ions nitrate NO3- sont alors, en partie ou en totalité, transformés, dans le biberon du nourrisson, en ions nitrite NO2-. Passant dans le sang, les ions nitrite NO2- ingérés sont, alors, en mesure de déclencher une méthémoglobinémie.

A l’inverse, l’eau d’adduction publique, toujours bactériologiquement contrôlée, contient toujours moins de 102 germes ml-1. Sa concentration bactérienne se situe bien au-dessous du seuil de 106 germes ml-1. Autrement dit, lorsqu’une eau d’adduction publique contenant des nitrates sert à la préparation d’un biberon, les nitrates, quelle que soit leur concentration, restent en totalité à l’état de nitrates. Aucune transformation des nitrates NO3- de l’eau d’adduction publique en nitrites NO2- n’a lieu dans le biberon. Le biberon ne contient pas de nitrite [Cf. rubriques des 7, 11 et 14 mai 2010].

Ainsi, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), entre 1945 et 1985, 2000 cas de méthémoglobinémie du nourrisson ont été recensés dans les pays occidentaux (Etats-Unis, Canada, Australie, pays européens). Ces 2000 cas étaient, tous sans exception, consécutifs à la préparation de biberons avec une eau de puits. Jamais aucun cas de méthémoglobinémie du nourrisson consécutif à l’ingestion d’un biberon n’a, par contre, depuis 1945 jusqu’à nos jours, été scientifiquement attribuable à l’utilisation d’une eau d’adduction publique.

Comme le disent ici les auteurs américains, il convient aujourd’hui de réexaminer les concentrations maximales réglementaires des nitrates dans l’eau de boisson.

Il convient de le faire tout spécialement pour l’eau d’adduction publique. Les normes de 44.3 et de 50 mg NO3- l-1, édictées pour cette eau d’adduction publique respectivement par les Etats-Unis et l’Europe sont dépourvues de base scientifique.

L’eau de puits appelle un raisonnement différent:

Certes, dans une eau de puits qui ne contiendrait aucune trace de nitrate NO3-, une pullulation bactérienne supérieure au seuil de 106 germes ml-1 ne pourrait donner lieu à la formation de nitrite NO2- dans le biberon. Mais, remarquons-le, dans ce cas, l’eau du biberon serait, malgré tout, impropre à la consommation. A elle seule, son importante concentration bactérienne ferait courir au nourrisson un risque majeur d’infection digestive, potentiellement mortelle.

Autrement dit, pour l’eau de puits, et seulement pour l’eau de puits, on pourrait comprendre que la concentration en nitrate soit l’objet d’une limitation administrative, à deux réserves près cependant:

1) Les chiffres de 44.3 et de 50 mg NO3- l-1 ne reposent que sur une vague supputation exprimée en 1945 par H.H. Comly, après sa description de deux cas, tout à fait bénins, de méthémoglobinémie du nourrisson consécutifs à la préparation de biberons avec des eaux de puits contenant respectivement, non pas 44.3 ou 50, mais 390 et 620 mg NO3- l-1 [Cf. rubrique du 19 février 2010].

2) Quelle que soit la concentration en nitrate de l’eau de puits utilisée pour la préparation du biberon, la seule mesure qui permette à coup sûr d’éviter un risque de méthémoglobinémie du nourrisson est fort simple. C’est celle qui consiste à bien s’assurer, par des contrôles répétés, que l’eau de puits n’est pas bactériologiquement contaminée. Si les contrôles bactériologiques de cette eau de puits n’ont pas été effectués et quelle que soit sa concentration en nitrate par ailleurs, on ne peut que recommander fermement de ne pas l’utiliser pour la préparation des biberons.

Le tableau suivant récapitule les données:

 

Teneur en nitrate faible

Teneur en nitrate élevée

Germes ≤ 105 ml-1

▪ AUCUN RISQUE DE METHEMOGLOBINEMIE

▪ AUCUN RISQUE DE METHEMOGLOBINEMIE

Germes > 106 ml-1

▪ Risque possible de méthémoglobinémie

▪ RISQUE D’INFECTION DIGESTIVE POTENTIELLEMENT MORTELLE

▪ RISQUE DE METHEMOGLOBINEMIE

▪RISQUE D’INFECTION DIGESTIVE POTENTIELLEMENT MORTELLE

 

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Nitrate et récupération musculaire

Vanhatalo, A., Jones, A.M., Blackwell, J.R., Winyard, P.G. and Fulford, J. (2014) Dietary nitrate accelerates post-exercise muscle metabolic recovery and O2 delivery in hypoxia. The Journal of Applied Physiology 117, 1460-1470

(voir l'abstract ici)

Dans un travail en double aveugle et cross over portant sur 8 sujets (5 hommes et 3 femmes), à la fois jeunes (âge moyen: 27 ans) et modérément entraînés, les auteurs britanniques [Université d’Exeter, Royaume-Uni] se penchent sur la récupération métabolique musculaire après exercice.

Pendant 5 jours, les sujets sont placés en deux groupes:

- un groupe placebo PL soumis à un apport supplémentaire insignifiant en nitrate: 0.2 mg NO3- j-1.

- et un groupe BR, soumis à un apport supplémentaire en nitrate sous forme de jus de betterave, l’apport étant de 508 mg NO3- j-1.

L’exercice qu’effectuent les sujets des deux groupes consiste, sur ergomètre, en une série d’extensions du genou gauche à un rythme régulier pendant 10 minutes, suivies de 24 secondes à forte intensité [The single-leg knee-extension protocol consisted of 10 min of steady-state exercise and 24 s of high-intensity exercise]. Il est effectué soit en normoxie (entre 19 et 21 % O2), soit en hypoxie (13% O2).

Les auteurs mesurent, entre autres:

- le temps de resynthèse de la phosphocréatine [the [PCr] recovery τ],

- le rythme maximal de resynthèse de l’ATP mitochondrial [the maximal rate of mitochondrial ATP resynthesis],

- en IRM, le temps de relaxation transversale noté T2 après exercice [τ of post-exercise T2* signal intensity], mesuré en regard du droit antérieur et du vaste externe.

Les résultats sont, en moyenne, les suivants:

 

Temps de resynthèse de la phosphocréatine (secondes)

Rythme maximal de resynthèse de l’ATP mitochondrial (mM/s)

Temps de T2* après exercice

(secondes)

Placebo + Normoxie

24

1.47

39

Placebo + Hypoxie

30

1.12

47

Jus de betterave + Normoxie

22

1.40

27

Jus de betterave + Hypoxie

22

1.35

32

Après supplémentation en nitrate, la corrélation entre la plus grande rapidité de resynthèse de la phosphocréatine en hypoxie et le temps plus court de T2* après exercice suggère qu’en contexte hypoxique c’est parce qu’elle renforce l’approvisionnement en oxygène que la supplémentation en nitrate est en mesure d’accélèrer la resynthèse en phosphocréatine [The faster phosphocreatine recovery in hypoxia following nitrate supplementation was positively correlated with the τ of T2* off-kinetics, suggesting that the faster phosphocreatine resynthesis […] in hypoxia may result from improved O2 delivery].

Les apports alimentaires en nitrate NO3- semblent avoir ainsi une influence relativement favorable sur la récupération métabolique musculaire après un exercice, du moins quand ce dernier est effectué en condition hypoxique. La voie métabolique nitrate-nitrite-oxyde nitrique jouerait, dans ces conditions, un rôle significatif de «modulateur» [These findings suggest that the NO3--NO2--NO pathway is a significant modulator of muscle energetics and O2 delivery during hypoxic exercise and subsequent recovery].

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Récapitulatif 2014 et bonne année 2015

L’année 2014 est maintenant terminée.

Le moment est venu de faire le point.

Depuis octobre 2009, grâce à un total de 415 rubriques, le blog «Nitrates et Santé» a pu présenter à ses lecteurs, analyser et commenter pour eux, plus de 400 articles scientifiques, consacrés directement ou non aux liens entre les nitrates alimentaires et la santé humaine.

▪ Sur les 415 rubriques présentées, 76 l’ont été au cours des 12 derniers mois.

· En 2014, rares ont été les rubriques ayant, en premier chef, concerné les griefs:

- 4 d’entre elles ont eu trait aux supposés griefs carcinologiques,

- aucune n’a eu trait à la méthémoglobinémie du nourrisson (on sait que les instances administratives prennent prétexte du risque d’apparition de cette affection du très jeune âge pour fixer et maintenir, à tort, la norme réglementaire de 50 mg NO3- l-1 dans l’eau d’adduction publique).

· En 2014, nombreuses par contre, ont été les rubriques spécialement affectées aux effets bénéfiques des ions nitrate NO3-. On dénombre:

- 17 rubriques consacrées à leurs effets bénéfiques cardiovasculaires,

- 5 rubriques consacrées à leurs effets bénéfiques sur le diabète,

- 15 rubriques consacrées à leurs effets bénéfiques sur les exercices physiques et sportifs.

▪ Certains articles proposent une vue globale et synthétique:

- sur les effets bénéfiques cardiovasculaires des nitrates alimentaires [rubriques des 14 février, 30 mai et 19 septembre 2014]

- sur les effets de ces nitrates alimentaires à l’égard des performances physiques et sportives [rubriques des 18 février, 10 octobre et 13 novembre 2014]. Le travail récapitulatif de Jones [rubrique du 10 octobre 2014] est particulièrement instructif.

▪ D’autres articles méritent de retenir l’attention, car ils font progresser les connaissances scientifiques sur les nitrates et leur métabolisme. Ce sont, par exemple:

- le travail de Carlström et coll. [rubrique du 19 janvier 2014] sur l’interférence physiologique entre les deux voies métaboliques de formation de l’oxyde nitrique NO, à savoir

- la synthèse endogène à partir de la L-arginine sous l’effet des NO synthases,

- et la voie nitrate alimentaire-nitrite-NO d’origine exogène,

- le travail de Larsen et coll. montrant une diminution du métabolisme de base sous l’effet d’une supplémentation alimentaire en nitrate [rubrique du 20 mars 2014],

- le travail de Jiang et coll. Au cours du diabète de type 2, un déficit de synthèse en oxyde nitrique NO est à l’origine de l’affection métabolique. Dans les cellules du muscle squelettique comme dans les cellules adipeuses, le déficit en NO exerce un effet négatif sur la translocation du transporteur de glucose insulinodépendant connu sous le nom de GLUT4. L’insuline perd alors de son pouvoir hypoglycémiant. C’est ce même déficit de synthèse en oxyde nitrique NO qui explique, lors du diabète de type 2, la prédisposition bien connue aux complications cardiovasculaires [rubrique du 24 mars 2014],

- le travail de Cortese-Krott et Kelm. Sous l’effet d’une NO synthase dite «endothéliale» (eNOS), le globule rouge placé en condition de normoxie est en mesure de produire lui-même de l’oxyde nitrique NO. Cette synthèse intra-érythrocytaire d’oxyde nitrique NO faiblit lors des pathologies cardiovasculaires ou coronariennes [rubrique du 19 avril 2014],

- l’observation de Joosen et coll. L’ingestion accidentelle, massive et unique par un homme de 67 ans, de 54750 mg de nitrate NO3- sous forme de nitrate de sodium NaNO3 n’est suivie que de troubles digestifs mineurs et transitoires [rubrique du 21 novembre 2014].

- le travail de Liu et coll. La peau est un réservoir d’oxyde nitrique NO. Ayant pour propriété, par l’intermédiaire des rayons ultraviolets A, de libérer l’oxyde nitrique NO dans l’organisme, l’exposition cutanée au soleil pourrait, de ce fait, être pourvue d’effets favorables sur la tension artérielle et la santé cardiovasculaire [rubrique du 30 novembre 2014].

▪ Un article, celui de Habermeyer et coll., mérite, à l’inverse, une appréciation négative. A vingt ans de distance (1994-2014), concentrant ses propos sur les effets carcinogènes (supposés) des nitrates alimentaires, on voit la même équipe réitérer les mêmes préjugés. Selon les auteurs allemands, si, dans leur ensemble, les études épidémiologiques sont négatives, c’est qu’elles ne sont pas suffisamment précises. D’autres études seraient ainsi nécessaires. Tant que les études n’auront pas réussi à confirmer le présupposé de la carcinogénicité des nitrates, il conviendra de ne pas changer les normes. On l’aura compris, ce genre d’article n’a pas d’autre intention que de fournir aux décideurs des instances administratives de quoi maintenir leur statu quo réglementaire [rubriques des 4, 8 et 12 décembre 2014].

▪ Du 16 au 20 juin 2014 s’est tenue la Conférence de Cleveland [Ohio, USA] [Cf. rubrique du 18 juin 2014]. Cette importante Conférence scientifique a réuni conjointement:

- la 8ème Conférence Internationale sur la Biologie, la Chimie et l’Application Thérapeutique de l’Oxyde Nitrique,

- et la 6ème Réunion internationale sur le Rôle des ions Nitrite et Nitrate en Physiologie, Physiopathologie et Thérapeutique.

 

▪ Durant l’année 2014, un ouvrage de N.S. Bryan et coll. a été traduit en français: «La Solution: L’Oxyde Nitrique (NO) Prévenir et soigner les maladies chroniques, en renforçant la molécule «miracle» de l’organisme». Sous une forme accessible au grand public, il effectue une synthèse des connaissances actuelles sur l’oxyde nitrique (NO) et donne de nombreuses recommandations pratiques. On en conseillera la lecture [rubrique du 15 juillet 2014].

▪ Ce tour d’horizon 2014 s’achève par deux rubriques «culturelles», l’une et l’autre évoquant un espace désertique et des temps lointains:

- le désert de Nitrie, haut lieu du monachisme égyptien des quatrième et cinquième siècles [rubrique du 18 octobre 2014],

- le désert de Gobi, ses grottes de Mogao et leurs nombreux temples bouddhistes [rubrique du 16 décembre 2014].

Très bonne année 2015 à tous.

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Supplémentation en nitrate et tension artérielle du sujet âgé en surpoids

Jajja, A., Sutyarjoko, A., Lara, J., Rennie, K., Brandt, K., Qadir, O. and Siervo, M. (2014) Beetroot supplementation lowers daily systolic blood pressure in older, overweight subjects. Nutrition Research 34, 868-875

(voir l'abstract ici)

Le risque d’hypertension artérielle est accru chez le sujet âgé comme chez le sujet en surpoids [The risk of hypertension is increased among elderly and overweight individuals].

Des travaux récents attribuent l’effet hypotensif du régime DASH [Dietary Approach to Stop Hypertension] à l’apport important en nitrate NO3- qu’il fournit [Recent studies attribute the beneficial blood pressure-lowering effects of dietary patterns, such as the Dietary Approach to Stop Hypertension (DASH) approach, to an increased intake of inorganic nitrate].

D’une méta-analyse publiée il y a peu, il ressort que la supplémentation alimentaire en nitrate NO3- s’accompagne d’une réduction assez nette et significative de la tension artérielle systolique, en moyenne de 4.4 mm Hg [Siervo et coll. 2013 – rubrique du 11 septembre 2013]. Les études prises en compte concernent en général des sujets jeunes et en bonne santé. Elles sont également de courte durée: entre 1 et 15 jours [The trials were generally characterized by a short duration (from 1 to 15 days) and predominantly focused on young subjects].

Les auteurs britanniques [Newcastle upon Tyne, Royaume-Uni] cherchent à préciser si un régime riche en nitrate aurait des effets sur la tension artérielle de sujets âgés et en surpoids.

Leur étude porte sur 24 sujets non-fumeurs (13 hommes/11 femmes), âgés de 55 à 70 ans, avec un indice de masse corporelle compris entre 25 et 40 kg/m2.

Pendant 3 semaines, les sujets ingèrent chaque matin:

- soit 70 ml d’un jus de betterave concentré [Beet It Sport; James White Company Ltd, UK], apportant (ou censé apporter) 300 à 400 mg de nitrate NO3- par flacon,

- soit 200 ml d’un jus de cassis n’apportant que 2.7 mg de nitrate NO3- par flacon, à titre de comparaison.

Les sujets suivent par ailleurs un régime alimentaire standard, leur fournissant de 50 à 100 mg NO3- j-1.

Pendant ces 3 semaines, et pendant la semaine qui suit, leur tension artérielle est surveillée selon 3 méthodes différentes:

1) Mesure de la tension artérielle au repos. Le patient reste assis confortablement dans un fauteuil pendant 15 minutes avant que la tension artérielle ne soit prise. Le bras est placé à hauteur du cœur. Trois mesures sont effectuées grâce à un tensiomètre électronique. La valeur retenue est la moyenne des deux valeurs les plus basses.

2) Monitoring ambulatoire de la pression artérielle sur 24 heures (ou MAPA, ou «Holter tensionnel»). La tension artérielle est mesurée toutes les demi-heures entre 8 h du matin et 10 heures du soir, puis toutes les heures de 10 heures du soir à 8 heures du matin. Pendant les 24 heures, les patients continuent leur activité normale.

3) Monitoring quotidien de la pression artérielle à la maison [Daily home blood pressure monitoring]. A l’aide d’un tensiomètre électronique, les sujets vérifient, à deux reprises consécutives, leur tension artérielle en position assise, le matin avant la consommation de jus de betterave ou de jus de cassis, puis le soir avant de se mettre au lit. La valeur retenue est la moyenne des chiffres du matin et du soir.

Les teneurs urinaires et salivaires en nitrate s’élèvent à la suite de la consommation de jus de betterave; comme le montrent les valeurs moyennes relatées dans le tableau ci-dessous. Huit jours après la fin de l’expérience, on le voit, elles retrouvent leur valeur de départ:

 

J0

J7

J21

J28

Nitrate urinaire (mg l-1)

60

180

180

50

Nitrate salivaire (mg l-1)

50

 

370

50

- 1) Lorsque la tension artérielle est prise au repos selon la première méthode, une tendance à la diminution de la tension artérielle systolique est, certes, enregistrée au cours des trois semaines de l’expérience. Mais la différence entre les deux groupes, le «groupe betterave» et le «groupe cassis», n’est pas significative.

- 2) Lorsque la tension artérielle est prise en monitoring ambulatoire selon la deuxième méthode, aucune modification significative des tensions artérielles systolique ou diastolique n’est non plus observée.

-3) Lorsque la tension artérielle est prise selon la troisième méthode, celle du monitoring quotidien à la maison, on note, par contre, une diminution progressive de la tension artérielle systolique dans le «groupe jus de betterave». A la fin de la troisième semaine, la baisse de la tension artérielle systolique du «groupe jus de betterave» devient statistiquement significative. La tension artérielle systolique du «groupe jus de betterave» est alors, en moyenne, de 7.3 mm Hg inférieure à celle du «groupe jus de cassis» [A progressive decrease in systolic blood pressure during the intervention phase was observed in the beetroot juice group. Systolic blood pressure was not significantly lower when compared to the blackcurrent juice group during week 1 and week 2; however, it was significantly lower during the final week of intervention (-7.3 mm Hg, P=0.02)].

Lors de la semaine suivante, sans consommations de jus de betterave ou de jus de cassis, la tension artérielle systolique du «groupe jus de betterave» ré-augmente progressivement au fil des jours. Elle retrouve sa valeur de départ au 28ème jour.

Commentaire du blog

Les auteurs signalent qu’après avoir terminé leur étude ils ont eu la curiosité de mesurer la teneur en nitrate de 3 flacons de «Beet it Sport». Au lieu de trouver un contenu de 400 mg de nitrate NO3- par flacon, comme annoncé par le fabricant [Cf. rubriques des 7 avril et 20 mai 2013], ils trouvent un contenu de seulement 165 mg de nitrate NO3-.

Cette différence ne remet pas en cause les résultats présentés ici. La consommation de concentré de jus de betterave a suffi à élever nettement les concentrations urinaires et salivaires en nitrate. A l’avenir cependant, avant la mise en place d’études, il conviendra de bien vérifier les teneurs en nitrate des flacons des concentrés de jus de betterave auxquels il sera prévu de recourir.

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Vertus des nitrates: pressenties en Chine dès l’an 1000

Butler A. (2015) Nitrites and nitrates in the human diet: Carcinogens or beneficial hypotensive agents? Journal of Ethnopharmacology 165, 105-107

(voir l'abstract ici)

▪ Dans un premier temps, l’auteur britannique [Université de Saint Andrews, Ecosse, Royaume-Uni] rappelle quelques points de base:

1) Bien qu’en milieu acide ils puissent être transformés en nitrosamines, les nitrites NO2- provenant de l’alimentation n’augmentent pas le risque de cancer. Les études épidémiologiques n’ont pas montré de lien entre la formation de nitrosamines et l’incidence des cancers gastriques [In spite of the situation being favourable for nitrosamine formation, there is no strong evidence for a correlation between nitrosamine formation and incidence of gastric cancers].

2) Bien que les ions nitrate NO3- soient transformés en ions nitrite NO2- dans la cavité buccale, un régime à base de légumes verts riches en nitrate n’est nullement dangereux pour la santé [A diet of nitrate-rich leafy vegetables […] is not dangerous, in spite of the possibility of conversion of nitrate into nitrite in the mouth].

3) Les dernières années ont vu émerger un changement radical de perspective scientifique. D’agent toxique, responsable de cancers gastriques, l’ion nitrite NO2- est devenu tout à l’inverse, aux yeux des scientifiques, un important facteur de ré-oxygénation des tissus hypoxiques [Thus, in recent years, nitrite has been transformed form a toxic agent, responsible for gastric cancers, into an important agent in the reoxygenation of hypoxic tissue]. La consommation de légumes riches en nitrates est bénéfique pour la santé cardiovasculaire [In relation to the diet of people today, the evidence suggests that consumption of vegetables rich in nitrate is beneficial with regard to cardiovascular health].

▪ Dans un deuxième temps, après avoir rappelé les points de base, l’auteur montre qu’en réalité, les découvertes récentes du monde médical occidental avaient déjà été, autrefois, entrevues ou pressenties par les Chinois.

Le salpêtre, ou nitrate de potassium (KNO3), est un constituant de la poudre à canon dont on doit l’invention aux Chinois des anciens temps. Connaissant le salpêtre, les médecins chinois de l’époque furent ainsi conduits à en découvrir les effets favorables sur la santé [Physicians of that time were familiar with saltpetre (potassium nitrate) as it is a component of gun-powder, one of China’s most significant inventions […] Presumably by a serendipitous process it was found to have a beneficial effect on human health, which was duly recorded].

Trois exemples le montrent:

1) Le texte d’alchimie «Sheng Xuan zi fugong tu» contient un conseil précurseur:

«Prenez une décoction de salpêtre pour prolonger la vie» [Take a decoction of saltpetre to prolong life].

2) Le livre de pharmacie de Shen Nong [Shen Nong’s Classic of Pharmaceutics], rédigé à l’époque des Han postérieurs, au 10ème siècle, contient cette maxime:

«La prise prolongée de salpêtre allège le corps» [Long term taking of saltpetre lightens the body],

«allègement du corps» étant ici à considérer comme synonyme d’«amélioration de la santé» [The phrase «lightens the body» includes the notion of improving the health].

3) A la fin du 19ème siècle, à l’occasion de travaux de restauration, un moine taoïste découvre, parmi de nombreux autres documents, dans la cave 17 d’une grotte de Mogao, un manuscrit médical assez surprenant.

Au nombre de 492, les grottes de Mogao sont fort anciennes. Creusées dans la paroi rocheuse par des moines depuis le 4ème jusqu’au 14ème siècles, elles sont connues pour héberger de très nombreux temples bouddhistes.

Elles sont situées à proximité de la ville de Dunhuang, autrefois poste de contrôle de la route de la soie aux confins du désert de Gobi.

Les documents retrouvés dans la cave 17 y étaient, en réalité, cachés et enfermés depuis l’an 1000 de notre ère, soit depuis près de dix siècles [The documents were stored and sealed in Cave 17 around 1000 CE].

Traduit en 2005 [Butler and Moffett, 2005], le document digne d’attention signale que la douleur thoracique de l’angine de poitrine est atténuée si, plaçant une bonne quantité de salpêtre sous la langue, le patient qui souffre laisse le salpêtre aussi longtemps qu’il lui est possible sous la langue, avant de déglutir sa salive [It has been tranlated by John Moffett (Butler and Moffett, 2005) and says, in essence, that the pain associated with the heart condition angina pectoris can be alleviated by placing a quantity of saltpetre under the tongue of the sufferer, leaving it there for as long as possible, and encouraging him to swallow the saliva].

Commentaire du blog

Il y a 1000 ans certains médecins chinois avaient déjà eu le pressentiment de ce que la science découvre aujourd’hui: l’effet des nitrates sur la paroi vasculaire et le rôle de la salive.

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1994-2014: Nitrates et présupposés (3)

Habermeyer, M., Roth, A., Guth, S., Diel, P., Engel, K.-H., Epe, B., Fürst, P., Heinz, V., Humpf, H.-U., Joost, H.-G., Knorr, D., de Kok, T., Kulling, S., Lampen, A., Marko, D., Rechkemmer, G., Rietjens, I., Stadler, R.H., Vieths, S., Vogel, R., Steinberg, P. and Eisenbrand, G. (2015) Nitrate and nitrite in the diet: How to assess their benefit and risk for human health. Molecular Nutrition and Food Research 59, 106-128

(voir l'abstract ici)

[suite]

L’article de 2014, rédigé par 22 auteurs sous l’égide de Gerhard Eisenbrand, est présenté comme un travail de la Commission du Sénat (allemand) sur la Sécurité Alimentaire [SKLM] dans son ensemble. L’auteur principal (G.E.) présidait la Commission  en 2012.

Les points majeurs de l’argumentaire sont les suivants:

- 1) Dans un chapitre intitulé: «Effets bénéfiques des nitrates alimentaires» [Beneficial health effects of dietary nitrate from foods], les auteurs signalent les effets bénéfiques cardiovasculaires, parfaitement démontrés, des nitrates alimentaires [Consumption of fruits and vegetables, particularly of green leafy vegetables, appears to protect against coronary heart disease and ischemic stroke risk […]. Beetroot juice, known to often contain high nitrate levels, was found to exhibit blood pressure-lowering and vasoprotective effects […]. Nitrate ingestion with beetroot juice was also reported to prevent endothelial dysfunction subsequent to an acute ischemic insult in the human forearm and to attenuate ex vivo platelet aggregation].

- 2) En conclusion de leur chapitre intitulé: «Effets délétères éventuels des composés N-nitrosés» [Potentially detrimental heath effects of N-nitroso compounds], les auteurs notent que les nombreuses études épidémiologiques publiées au cours des quarante dernières années n’ont pas réussi à apporter la preuve recherchée. Il ne leur a pas été possible de démontrer que la transformation in vivo des nitrates alimentaires en composés N-nitrosés était suffisamment prononcée pour que le risque des cancers en général ou d’un cancer en particulier s’en trouve accru [In conclusion, the epidemiological evidence regarding the role of endogenous N-nitroso compounds formation for human risk is inconsistent].

- 3) En conséquence, afin de réussir à apporter la preuve tant recherchée, il convient désormais de mettre en œuvre des études plus élaborées [Obviously, there is a need for more elaborate studies […] in order to establish causality for the association]. A la recherche de populations à risque par exemple, de telles études pourraient prendre en compte des données comme l’âge, le sexe, le contexte génétique, l’état de santé, le rôle d’atteintes infectieuses ou inflammatoires [Such studies also need to consider individual differences such as age, gender, genetic background and heath status as well as the role of infections and inflammatory processes].

- 4) S’exprimant au nom de la Commission du Sénat sur la Sécurité Alimentaire [SKLM], les 22 auteurs concluent en 2014 de la manière suivante:

- Insuffisantes, les données dont disposent actuellement le monde scientifique ne permettent pas de se faire une idée exacte de leurs effets positifs et négatifs, notamment sur le long terme.

- De nouvelles études destinées à bien préciser les effets potentiellement négatifs et positifs des expositions aux nitrates et aux nitrites sont nécessaires.

[The SKLM is of the opinion that there is a need for further research addressing potentially negative and positive health effects associated with dietary nitrate and nitrite exposure. The available evidence is inadequate to be used as a basis for a comprehensive and reliable assessment of positive as well as negative health effects, especially regarding long-term effects].

Commentaire du blog

On constate avec étonnement qu’après avoir reconnu et admis l’existence des effets bénéfiques cardiovasculaires des nitrates alimentaires et leur importance, les auteurs expriment à nouveau, inchangés, les présupposés de 1994 sur la carcinogénicité des nitrates.

Comme vingt ans plus tôt, ils sont persuadés que les nitrates alimentaires sont cancérigènes. Certes les études épidémiologiques ne le confirment pas. Mais, à leurs yeux, si les études épidémiologiques ne le confirment pas, c’est qu’elles sont défaillantes.

A leurs yeux, tant que les études épidémiologiques n’auront pas démontré la carcinogénicité des nitrates, le doute subsistera et tant que le doute subsistera il conviendra d’envisager de nouvelles études.

Peut-on ajouter que la réalité des effets bénéfiques cardiovasculaires liés aux nitrates alimentaires est maintenant largement démontrée scientifiquement? Il suffit de consulter la page RUBRIQUES PAR THEMES de ce blog pour s’en convaincre. Or, dans leur conclusion, prenant curieusement leur distance avec les avancées de la science sur le sujet, les auteurs laissent entendre que le manque de preuve concerne tout autant les effets bénéfiques cardiovasculaires que les hypothétiques effets cancérigènes.

L’administration s’appuie sur ce genre de rapport, qui lui permet de verrouiller sa position, et de maintenir ses normes.

On peut s’interroger: La science réussira-t-elle un jour à ouvrir les yeux de ceux qui, au sein de l’administration, ont la responsabilité de fixer les normes?

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1994-2014: Nitrates et présupposés (2)

Habermeyer, M., Roth, A., Guth, S., Diel, P., Engel, K.-H., Epe, B., Fürst, P., Heinz, V., Humpf, H.-U., Joost, H.-G., Knorr, D., de Kok, T., Kulling, S., Lampen, A., Marko, D., Rechkemmer, G., Rietjens, I., Stadler, R.H., Vieths, S., Vogel, R., Steinberg, P. and Eisenbrand, G. (2015) Nitrate and nitrite in the diet: How to assess their benefit and risk for human health. Molecular Nutrition and Food Research 59, 106-128

[Suite]

Du 8 au 10 novembre 1994, il y a vingt ans, s’est tenu à Bilthoven, aux Pays-Bas, un symposium international consacré aux aspects sanitaires des nitrates et de leurs métabolites. Les contributions des participants furent recueillies dans un ouvrage: “Proceedings of the International Workshop on Health Aspects of Nitrates and its Metabolites (Particularly Nitrite), Bilthoven (Netherlands), 8-10 November 1994, Council of Europe Press, Strasbourg, 336 p.”.

Deux auteurs allemands, C. Janzowski et G. Eisenbrand, se penchaient alors sur le risque carcinogène éventuel des nitrates alimentaires [Janzowski, C. and Eisenbrand, G. (1994) Aspects to be considered for risk assessment concerning endogenously formed N-nitroso-compounds, pp. 313-330].

(voir l'article ici)

Ils faisaient alors les remarques suivantes:

- 1) Les données épidémiologiques sur le sujet ne sont pas concluantes [Currrent epidemiologic data provide conflicting evidence regarding the potential long term health risk of dietary nitrate levels in respect to human cancer].

- 2) L’absence de données concluantes s’explique par le manque de sensibilité et de spécificité des méthodes employées [However, difficulties, attribuable to the lack of sensivity and specificity of applied methods have to be considered].

- 3) En conséquence, il convient, à l’avenir, de recourir à de nouvelles études épidémiologiques bien conçues, prenant en compte la nitrosation endogène. Il convient, à l’avenir, de développer des méthodes particulièrement sensibles et précises. Notamment, on identifiera les populations à risque [Therefore, additional well designed epidemiologic studies are required in which the body burden of endogenous nitrosation and resulting genotoxic effects in individuals are monitored […]. Population groups that are at increased cancer risk potentially related to N-Nitroso compounds need to be identified].

- 4) Bien que les données épidémiologiques ne soient pas concluantes, il est raisonnable de penser qu’il existe un lien entre les apports alimentaires en nitrates et le risque cancérigène [At present, however, from many experimental studies a relationship between the intake of nitrate and cancer risk reasonably can be expected]

- 5) Et comme la consommation de nitrate provient principalement des légumes, il apparaît légitime d’envisager de fixer une limite réglementaire maximale en nitrate dans les légumes, conformément  aux bonnes pratiques agricoles [As the highest nitrate uptake results from vegetables a reduction can be reached by setting maximal tolerable nitrate levels in vegetables that reflect good agricultural practice].

Commentaire du blog

Les deux auteurs ont, on le voit, des idées préconçues. Persuadés que les nitrates sont cancérigènes, ils regrettent de ne pas être en mesure de le démontrer. Ils pensent que l’avenir apportera les arguments manquants. Malgré l’absence de preuve, leur assurance est telle qu’ils vont jusqu’à préconiser l’établissement de normes pour les nitrates des légumes.

La fragilité de l’argumentaire n’a pas été perçue par les instances décisionnelles. D’abord l’Allemagne en 1995, puis, deux ans plus tard, la Commission des Communautés européennes en 1997, prendront la décision de fixer réglementairement une concentration maximale des nitrates dans les épinards et la laitue. La réglementation sur les épinards et la laitue est toujours en vigueur aujourd’hui.

[A suivre]

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1994-2014: Nitrates et présupposés (1)

Habermeyer, M., Roth, A., Guth, S., Diel, P., Engel, K.-H., Epe, B., Fürst, P., Heinz, V., Humpf, H.-U., Joost, H.-G., Knorr, D., de Kok, T., Kulling, S., Lampen, A., Marko, D., Rechkemmer, G., Rietjens, I., Stadler, R.H., Vieths, S., Vogel, R., Steinberg, P. and Eisenbrand, G. (2015) Nitrate and nitrite in the diet: How to assess their benefit and risk for human health. Molecular Nutrition and Food Research 59, 106-128

Il y a deux ans, le 27 novembre 2012 exactement, observant que les effets néfastes et bénéfiques des ions nitrate NO3- et nitrite NO2- sont à l’origine de débats, la Commission du Sénat sur la Sécurité Alimentaire [SKLM] de la Fondation Allemande pour la Recherche [DRG] a organisé à Bonn, en Allemagne, une table ronde intitulée: «Nitrate et nitrite dans l’alimentation – Bénéfice/risque en matière de santé humaine».

Y participaient des experts venus d’Allemagne, le pays organisateur, et également des Pays-Bas, de Suède, du Royaume-Uni et des Etats-Unis [In view of the controversial discussion concerning potential detrimental versus beneficial health benefits related to dietary nitrate and nitrite intake, the Senate Commission on Food Safety (SKLM) (of the German Research Foundation (DFG)) organized a round table meeting on «Nitrate and nitrite in the diet, benefit/risk for human health» with experts from the Netherlands, Sweden, UK, USA and Germany in Bonn, Germany, on the 27th of November 2012].

Deux ans plus tard, en 2014, un article de synthèse paru dans une revue internationale de nutrition rend public le résultat de la table ronde. L’article est signé de 22 auteurs (19 allemands, 1 hollandais, 1 suisse, 1 autrichien). L’auteur principal est Gerhard Eisenbrand, professeur de l’Université de Kaiserslauten et président (en 2012) de la Commission du Sénat sur la Sécurité Alimentaire [DFG-SKLM]. La grande majorité des 22 auteurs, 19 exactement, sont ou membres ou invités de la même Commission pour les années 2014-2016.

Il y a vingt ans, en 1994, à l’occasion d’un symposium organisé à Bilthoven (Pays-Bas), conjointement avec un collègue, C. Janzowski, Gerhard Eisenbrand avait eu l’occasion de livrer ses réflexions sur l’éventuel risque carcinogène lié aux nitrates alimentaires. A l’époque, rappelons-le, les milieux scientifiques étaient négativement influencés par les normes administratives édictées respectivement aux Etats-Unis et en Europe en 1962 et 1980 à l’égard des nitrates de l’eau de boisson. Les mêmes milieux scientifiques ne connaissaient pas encore les effets bénéfiques des nitrates alimentaires.

Depuis 1994, entre 1994 et 2014, le paysage scientifique a changé. Malgré des tentatives incessantes, la toxicité des nitrates n’a jamais pu être démontrée. L’importance des effets bénéfiques des nitrates alimentaires, notamment des effets bénéfiques cardiovasculaires, est considérée comme majeure.

Dans ces conditions, il parait intéressant de voir si, à vingt ans de distance, le même auteur reste attaché à sa position initiale ou, au contraire, modifie son point de vue.

Dans les deux rubriques à venir, le blog «Nitrates et santé» se propose de comparer les avis exprimés en 1994 et 2014.

[A suivre]

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Réserve cutanée en NO, exposition solaire et protection cardiovasculaire

Liu, D., Fernandez, B.O., Hamilton, A., Lang, N.N., Gallagher, J.M.C., Newby, D.E., Feelisch, M. and Weller, R.B. (2014) UVA irradiation of human skin vasodilates arterial vasculature and lowers blood pressure independently of nitric oxide synthase. Journal of Investigative Dermatology 134, 1839-1846

(voir l'abstract ici)

Chez les patients atteints d’hypertension artérielle modérée, les tensions artérielles systolique et diastolique sont, dans l’ensemble, moins élevées l’été que l’hiver [Systolic and diastolic blood pressure in mild hypertensives are lower in summer than winter (Brennan et al., 1982)]. Dans la population générale, les chiffres tensionnels et la prévalence de l’hypertension artérielle augmentent en s’approchant des pôles ou en s’éloignant de l’équateur [Mean population blood pressure and hypertension prevalence increase with distance from the equator (Rostand, 1997)].

Au niveau de la peau, les rayons ultraviolets B, de longueur d’onde comprise entre 280 et 315 nm, permettent, comme on le sait, la transformation du 7-déhydrocholestérol en cholécalciférol, ou vitamine D3.

- Les études observationnelles mettent en évidence une relation statistique inverse entre, d’une part le taux sérique en vitamine D, et d’autre part la tension artérielle et la fréquence des maladies cardiaques ischémiques [Observational studies show an inverse relationship between serum vitamin D levels and blood pressure and ischemic heart disease (Lehman et al, 2001; Gouni-Berthold et al., 2009)].

- Les études interventionnelles ne constatent, par contre, aucun retentissement d’une supplémentation en vitamine D sur la tension artérielle, l’incidence des maladies cérébrovasculaires ou celle des maladies cardiaques ischémiques [Interventional studies show no effect of vitamin D supplementation on blood pressure, the incidence of stroke, or ischemic heart disease (Pittas et al., 2010)].

Ainsi, l’exposition au soleil augmente effectivement la synthèse cutanée en vitamine D, en même temps qu’elle contribue à diminuer la tension artérielle et la mortalité cardiovasculaire. Les effets bénéfiques cardiovasculaires de l’exposition au soleil apparaissent cependant indépendants de la synthèse cutanée en vitamine D [Although vitamin D is a marker for sunlight exposure, the factors that lower blood pressure and cardiovascular mortality thus appear to be independent of it].

Par ailleurs, les auteurs britanniques [Edimbourg et Southampton] ont eu l’occasion de montrer que la peau humaine est riche en métabolites de l’oxyde nitrique NO [We have previously identified a rich store of nitric oxide (NO) metabolites in human skin, yet its biological role remains unknown].

Dans le derme et l’épiderme, la concentration en nitrate est 2 à 3 fois supérieure à celle du plasma. Elle y est évaluée à environ 5 mg NO3- l-1 [Nitrate is the major nitrogen oxide in the dermis and epidermis where it is present at around 80 μmol l-1, which is 2-3 times higher than the circulating concentration (Paunel et al., 2005; Mowbray et al., 2009)].

Forts de ces prémisses, les auteurs se demandent si les bénéfices cardiovasculaires de l’exposition solaire ne pourraient pas être dus, non à la vitamine D, comme on a pu précédemment l’envisager, mais, en réalité, aux rayons ultraviolets A, de longueur d’onde comprise entre 315 et 400 nm. Les rayons ultraviolets A pourraient favoriser la mobilisation des métabolites de l’oxyde nitrique NO initialement présents dans la peau, puis leur libération dans la circulation sanguine [We have proposed that solar UVA may mobilize nitrogen oxides from cutaneous stores to the circulation to lower blood pressure and cardiovascular mortality].

▪ 24 volontaires sains (18 hommes, 6 femmes), âgés en moyenne de 22 ans, participent à l’étude. Pendant 20 minutes, en sous-vêtements, ils sont soumis à une irradiation ultraviolette de la peau exposée [20 J cm-2], correspondant à celle d’une exposition solaire d’une demi-heure, à midi, en Europe méridionale […irradiation with UVA corresponding to natural sunlight exposure for 30 minutes at noon on a sunny day in Southern Europe]. Contrairement à ce qui fait suite à une irradiation simulée, l’irradiation ultraviolette donne lieu à une diminution significative à la fois des tensions artérielles moyenne et diastolique.

Pendant les quarante minutes qui font suite à une irradiation ultraviolette, les concentrations plasmatiques en nitrite NO2- et en nitrate NO3- subissent des modifications opposées:

- la concentration plasmatique en nitrite NO2- s’élève, passant, en moyenne, de 23 à 33 μg NO2- l-1.

- la concentration plasmatique en nitrate NO3diminue, passant, en moyenne, de 0.73 à 0.57 mg NO3- l-1.

On peut supposer qu’une conversion des ions nitrate NO3- en ions nitrite NO2- se trouve à l’origine de la diminution tensionnelle provoquée par l’irradiation ultraviolette A [Our in vivo data showing concomitant reductions in circuling nitrate and rises in nitrite upon UVA irradiation suggest nitrate to nitrite conversion is involved in light-induced blood pressure reduction].

▪ Chez 12 autres volontaires sains, tous de sexe masculin, âgés en moyenne de 22 ans, une irradiation ultraviolette locale [20 J cm-2] est appliquée à l’avant-bras. Le flux sanguin de l’avant-bras est mesuré par pléthysmographie avec occlusion veineuse. On constate que l’irradiation ultraviolette le majore significativement pendant une cinquantaine de minutes. Comme l’indique une contre-expérience utilisant une perfusion d’un inhibiteur de la NO synthase, le L-NG-monomethyl arginine [L-NMMA], la majoration du flux sanguin ne fait en rien intervenir l’activité de la NO synthase. L’action de l’irradiation ultraviolette se porte vraisemblablement ainsi sur les réserves de métabolites du NO, préformées au sein du revêtement cutané [UVA irradiation of the forearm caused increased blood flow independently of NO synthase activity, suggesting involvement of pre-formed cutaneous stores].

Ce travail britannique met l’accent sur une importante fonction cutanée. La peau ne doit pas être considérée uniquement comme l’enveloppe extérieure du corps. Elle intervient dans la modulation de la biodisponibilité systémique de l’oxyde nitrique NO. Une telle fonction explique pourquoi, chez l’homme, la tension artérielle et l’incidence des maladies cardiovasculaires sont, l’une et l’autre, affectées par la latitude et la saison [Collectively, our data provide mechanistic insights into an important fucntion of the skin in modulating systemic bioavailability, which may account for the latitudinal and seasonal variations of blood pressure and cardiovascular diseases].

Une telle découverte, si elle est confirmée, a des implications sanitaires.

La crainte des mélanomes et autres cancers cutanés, favorisés par l’excès d’exposition solaire, a conduit les autorités sanitaires à recommander une limitation d’exposition au soleil et une utilisation à grande échelle des crèmes de protection. En réalité, la mortalité par mélanome est beaucoup moins prononcée que les mortalités d’origine cardiovasculaire et cérébrovasculaire. En 2008, ces mortalités étaient respectivement évaluées, chaque année, à 2.6, 112.5 et 59.5 pour 100000 habitants. Bien qu’édictée avec de bonnes intentions, la recommandation des autorités sanitaires, qui a pour but de réduire si possible le nombre, assez faible, de décès par cancer cutané, comporte une fâcheuse contrepartie. Elle augmente les risques de décès d’origine cardio- et cérébrovasculaire déjà 43 et 23 fois plus marqués [Age-standardized melanoma mortality (Foresea et al., 2012) is much lower than that from cardiovascular disease or cerebrovascular disease (Nichols et al., 2012; 2.6 vs. 112.5 vs. 59.5/100,000 per year in 2008). We are concerned that well-meaning advice to reduce the comparatively low numbers of deaths from skin cancer may inadvertently increase the risk of death from far higher prevalent cardiovascular disease and stroke, and goes against epidemiological data showing that sunlight exposure reduces all-cause and cardiovascular mortality].

Commentaire du blog

De nos jours, au Royaume-Uni comme aux Etats-Unis, 30 à 45 % des adultes recourent à des bains de bouche antiseptiques. Cette pratique a, on le sait, des implications sanitaires défavorables. Interrompant le cycle entérosalivaire des nitrates, elle contribue à augmenter le risque cardiovasculaire [Cf. rubrique du 7 février 2013].

L’Organisation Mondiale de la Santé [OMS] (voir ici) et l’«United States Environmental Protection Agency [EPA]» (voir ici) recommandent, l’une et l’autre, d’éviter les expositions solaires prolongées et d’appliquer régulièrement sur la peau des écrans solaires. La peau est, cependant, un réservoir d’oxyde nitrique NO, et son exposition au soleil a pour propriété de libérer l’oxyde nitrique dans l’organisme. Si l’on prend en considération la santé humaine dans sa totalité, et non pas le seul risque de cancer cutané, la recommandation des autorités sanitaires, internationale et américaine, en matière d’exposition au soleil pourrait, en réalité, être inappropriée et contre-productive.

Le recours à l’application d’écran solaire, tout comme le recours au bain de bouche antibactérien, sont devenus des habitudes chez nombre de nos contemporains. L’un comme l’autre pourraient retentir défavorablement sur le métabolisme des nitrates et du NO.

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Nitrates et économie de course

Barnes, K.R. and Kilding, A.E. (2014) Strategies to improve running economy. Sports Medicine. Sous presse.

(voir l'abstract ici)

Appartenant à l’Institut de Recherche sur la Performance Sportive [Sports Performance Research Institute] d’Auckland, les auteurs néo-zélandais présentent une étude synthétique consacrée aux différents moyens qui, à la disposition de l’athlète, lui permettent d’améliorer son économie de course [running economy].

L’économie de course se définit comme le niveau de la consommation d’oxygène VO2 à une vitesse sous-maximale donnée [The steady-state oxygen consumption (VO2) at a given running velocity, which is often referred to as running economy, reflects the energy demand of running at a constant submaximal speed]. Chez un coureur, la comparaison d’un temps à l’autre de ses VO2 à une même vitesse sous maximale lui permet de savoir si son efficacité en course s'est ou non améliorée.

Les auteurs passent en revue tous les moyens disponibles, à savoir:

- l’entraînement musculaire contre résistance,

- l’entraînement en force explosive, par des exercices pliométriques basés sur des sauts et des sautillements,

- l’entraînement en altitude,

- les exercices d’étirement

- enfin, les interventions nutritionnelles [nutritional interventions]. Or, il se trouve que, parmi les interventions nutritionnelles susceptibles d’avoir un retentissement sur l’économie de course, la plus remarquable est, sans conteste, la supplémentation en nitrate.

La littérature scientifique contient, en réalité, peu de données sur des interventions nutritionnelles autres que la supplémentation en nitrates:

- un article sur un effet (peu convaincant) d’un traitement homéopathique comprenant une supplémentation orale de 4 semaines en Echinacea (Whitehead et coll., 2012)

- un modeste effet ergogénique observé après une ingestion de caféine à la dose de 7 mg kg-1 de poids corporel avant un effort de course submaximal (Birnbaum et coll., 2004)

 – des effets éventuels d’une ingestion combinée de créatine et de glycérol chez des coureurs d’endurance entraînés (Beis et coll., 2011).

Parmi les interventions nutritionnelles retentissant favorablement sur l’économie de course, les auteurs insistent donc sur les supplémentations en nitrate NO3-.

Des légumes comme la laitue, les épinards, la roquette, le céleri et la betterave sont particulièrement riches en nitrate. Il est commode de recourir à une supplémentation alimentaire en nitrate NO3- pour augmenter les concentrations plasmatiques en nitrate NO3-, en nitrite NO2- et en oxyde nitrique NO. La diminution de la demande en oxygène qui fait suite à une telle supplémentation en nitrate lors de l’effort submaximal témoigne alors d’une augmentation de l’efficacité métabolique, autrement dit d’une amélioration profitable de l’économie de course [Green leafy vegetables such as lettuce, spinach, rocket, celery and beetroot are particularly rich in nitrate. Therefore dietary nitrate supplementation represents a practical method to increase circulating plasma nitrite and thus nitric oxide to lower the oxygen demand of submaximal exercise (i.e., enhances metabolic efficiency and subsequently running economy].

Pour les auteurs d’Auckland, l’ingestion de nitrate alimentaire, sous forme de jus de betterave, constitue ainsi un moyen d’améliorer l’économie de course. Le moyen est à la fois naturel et prometteur [Ingestion of dietary nitrate, especially in the form of beetroot juice, also appears to hold promise as a natural means to improve running economy].

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