Eau de boisson: normes à revoir

Richard, A.M., Diaz, J.H. and Kaye, A.D. (2014) Reexamining the risks of drinking-water nitrates on public health. The Oschner Journal 14, Fall 2014, 392-398

(voir l'abstract ici)

Les auteurs américains [La Nouvelle-Orléans, Louisiane, USA] se proposent de réexaminer les risques sanitaires éventuellement liés aux nitrates présents dans l’eau de boisson.

Pour rendre compte de la méthémoglobinémie du nourrisson, on a, pendant des décennies, uniquement incriminé les nitrates présents dans l’eau de boisson En réalité, comme le montrent les travaux de recherche, interviennent également des déficits enzymatiques d’origine génétique, des hémoglobinopathies héréditaires et surtout, ce qui constitue finalement la cause la plus fréquente, une synthèse endogène d’oxyde nitrique NO élevée à l’occasion d’infections digestives, les systèmes de protection assurant, chez le nourrisson, la réduction de la méthémoglobine étant alors dépassés [For decades, infantile methemoglobinemia was blamed solely on nitrates in the drinking water used to prepare infant formulas, but research has implicated genetic enzyme deficiencies, inheritable hemoglobinopathies and periodic generation of nitric oxide levels high enough to overpower protective methemoglobin-reducting systems during acute gastrointestinal infections as the most common causes of infantile methemoglobinemia (Avery, 1999)].

Puisque, disent les auteurs, les travaux de recherche sur la méthémoglobinémie du nourrisson réfutent le rôle des nitrates exogènes présents dans le biberon et mettent l’accent, au contraire, sur la synthèse endogène de nitrite NO2- à la suite d’anomalies génétiques ou encore à la suite d’une synthèse intestinale accrue d’oxyde nitrique NO lors de gastro-entérites, on peut penser que la concentration maximale admissible des nitrates NO3- dans l’eau de boisson, fixée depuis 1962 aux Etats-Unis à 44.3 mg NO3- l-1 (ou 10 mg NO3-N l-1), est maintenant à réexaminer [Because research refutes exogenous nitrate-to-nitrite sources as causes of infantile methemoglobinemia and supports endogenous nitrite production secondary to genetic abnormalities or nitric oxide generation in an inflamed infant gut as causative mechanisms for infantile methemoglobinemia, perhaps the current maximum contaminant level for nitrate in drinking water of 10 mg/L (or 10 ppm) should be revisited].

Commentaire du blog

L’article mélange le vrai et le faux.

Il est exact, comme A. Avery l’a souligné en 1999, que, chez le jeune nourrisson, la diarrhée infectieuse est capable de donner lieu à l’apparition d’une méthémoglobinémie. Activant la synthèse endogène d’oxyde nitrique NO, la gastro-entérite infectieuse du nourrisson augmente la synthèse endogène en nitrite et en nitrate. Chez le nourrisson, la méthémoglobine réductase a, on le sait, une faible activité. La synthèse endogène accrue en nitrite NO2- est à l’origine d’une élévation du taux de méthémoglobine.

Il est inexact, par contre, de dire que les travaux de recherche ont complètement innocenté les nitrates des eaux de boisson dans leur ensemble, eaux de puits incluses. 

L’erreur principale des auteurs est, en réalité, de ne pas avoir compris le rôle joué par les bactéries et, de ce fait, de ne pas distinguer le cas de l’eau de puits de celui de l’eau d’adduction publique.

Quand les nitrates proviennent d’une eau de puits, on ne peut exclure a priori l’éventualité que le puits soit sordide et que son eau soit bactériologiquement contaminée. Si, outre les nitrates, cette eau contient plus de 106 germes ml-1, les ions nitrate NO3- sont alors, en partie ou en totalité, transformés, dans le biberon du nourrisson, en ions nitrite NO2-. Passant dans le sang, les ions nitrite NO2- ingérés sont, alors, en mesure de déclencher une méthémoglobinémie.

A l’inverse, l’eau d’adduction publique, toujours bactériologiquement contrôlée, contient toujours moins de 102 germes ml-1. Sa concentration bactérienne se situe bien au-dessous du seuil de 106 germes ml-1. Autrement dit, lorsqu’une eau d’adduction publique contenant des nitrates sert à la préparation d’un biberon, les nitrates, quelle que soit leur concentration, restent en totalité à l’état de nitrates. Aucune transformation des nitrates NO3- de l’eau d’adduction publique en nitrites NO2- n’a lieu dans le biberon. Le biberon ne contient pas de nitrite [Cf. rubriques des 7, 11 et 14 mai 2010].

Ainsi, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), entre 1945 et 1985, 2000 cas de méthémoglobinémie du nourrisson ont été recensés dans les pays occidentaux (Etats-Unis, Canada, Australie, pays européens). Ces 2000 cas étaient, tous sans exception, consécutifs à la préparation de biberons avec une eau de puits. Jamais aucun cas de méthémoglobinémie du nourrisson consécutif à l’ingestion d’un biberon n’a, par contre, depuis 1945 jusqu’à nos jours, été scientifiquement attribuable à l’utilisation d’une eau d’adduction publique.

Comme le disent ici les auteurs américains, il convient aujourd’hui de réexaminer les concentrations maximales réglementaires des nitrates dans l’eau de boisson.

Il convient de le faire tout spécialement pour l’eau d’adduction publique. Les normes de 44.3 et de 50 mg NO3- l-1, édictées pour cette eau d’adduction publique respectivement par les Etats-Unis et l’Europe sont dépourvues de base scientifique.

L’eau de puits appelle un raisonnement différent:

Certes, dans une eau de puits qui ne contiendrait aucune trace de nitrate NO3-, une pullulation bactérienne supérieure au seuil de 106 germes ml-1 ne pourrait donner lieu à la formation de nitrite NO2- dans le biberon. Mais, remarquons-le, dans ce cas, l’eau du biberon serait, malgré tout, impropre à la consommation. A elle seule, son importante concentration bactérienne ferait courir au nourrisson un risque majeur d’infection digestive, potentiellement mortelle.

Autrement dit, pour l’eau de puits, et seulement pour l’eau de puits, on pourrait comprendre que la concentration en nitrate soit l’objet d’une limitation administrative, à deux réserves près cependant:

1) Les chiffres de 44.3 et de 50 mg NO3- l-1 ne reposent que sur une vague supputation exprimée en 1945 par H.H. Comly, après sa description de deux cas, tout à fait bénins, de méthémoglobinémie du nourrisson consécutifs à la préparation de biberons avec des eaux de puits contenant respectivement, non pas 44.3 ou 50, mais 390 et 620 mg NO3- l-1 [Cf. rubrique du 19 février 2010].

2) Quelle que soit la concentration en nitrate de l’eau de puits utilisée pour la préparation du biberon, la seule mesure qui permette à coup sûr d’éviter un risque de méthémoglobinémie du nourrisson est fort simple. C’est celle qui consiste à bien s’assurer, par des contrôles répétés, que l’eau de puits n’est pas bactériologiquement contaminée. Si les contrôles bactériologiques de cette eau de puits n’ont pas été effectués et quelle que soit sa concentration en nitrate par ailleurs, on ne peut que recommander fermement de ne pas l’utiliser pour la préparation des biberons.

Le tableau suivant récapitule les données:

 

Teneur en nitrate faible

Teneur en nitrate élevée

Germes ≤ 105 ml-1

▪ AUCUN RISQUE DE METHEMOGLOBINEMIE

▪ AUCUN RISQUE DE METHEMOGLOBINEMIE

Germes > 106 ml-1

▪ Risque possible de méthémoglobinémie

▪ RISQUE D’INFECTION DIGESTIVE POTENTIELLEMENT MORTELLE

▪ RISQUE DE METHEMOGLOBINEMIE

▪RISQUE D’INFECTION DIGESTIVE POTENTIELLEMENT MORTELLE

 

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