Nitrite, charcuterie et cancer

Coudray, G. (2017) Si l’utilisation de nitrites séduit l’industrie de la charcuterie, elle représente un vrai danger pour le consommateur. Huffpost, 8 septembre 2017.

(voir ici)

Sur son site personnel, l’auteur se présente de la manière suivante: «Auteur et réalisateur de films documentaires, G.C. est diplômé de Sciences Po et ancien allocataire de recherche de la Fondation nationale des sciences politiques. Il a mené l’enquête sur les charcuteries présentées par Elise Lucet dans l’émission "Cash Investigation" ("Industrie agroalimentaire: business contre santé, France 2". Il est l’auteur de "Cochonneries: comment la charcuterie est devenue un poison" (éditions La Découverte, parution: septembre 2017)».

Le 8 septembre 2017, sur le site de Huffingtonpost, il publie un texte de trois pages destiné à résumer l’argumentaire développé dans son ouvrage.

Il explique d’abord qu’en Corse, en Auvergne, en Ardèche, en Aveyron, en Espagne et en Italie, certains jambons, chorizos ou saucisses sont fabriqués sans adjonction de nitrate ou de nitrite. La salaison fait seulement appel à du sel de cuisine ou du sel de mer. Il cite le «prisuttu» corse et le jambon de Parme.

Par contre, en France et aux Etats-Unis, pour des raisons de commodité, la plupart des industriels salent leurs produits soit avec du nitrate de potassium soit avec du nitrite de sodium.

Or le Centre International de Recherche sur le Cancer [CIRC], agence intergouvernementale créée par l’Organisation Mondiale de la Santé [OMS], a publié en 2015 un communiqué classant:

- la consommation de viande rouge comme probablement cancérigène pour l’homme (groupe 2A),

- et la consommation de viande transformée comme cancérigène pour l’homme (groupe 1), le risque concernant le cancer colorectal.

A l’origine de ce risque, l’auteur [G.C.] incrimine la salaison par les nitrates ou les nitrites. Certes, les nitrates et les nitrites ne sont pas eux-mêmes directement cancérigènes. Mais, dit-il, ils le sont indirectement. Ils donnent, en effet, naissance dans la viande à des nitrosamines et à des nitrosamides, «dangereux même à très faible dose», précise-t-il.

Il critique aussi les fabricants lorsqu’ils invoquent l’effet anti-infectieux de l’adjonction dans la viande de nitrate ou de nitrite, ou, plus précisément, l’effet préventif que l’adjonction de nitrate ou de nitrite exerce à l’égard du risque botulinique. Aucun cas de botulisme n’a jamais été décrit à Parme, où sont consommés chaque année des millions de jambon sans adjonction de nitrate ou de nitrite.

En définitive, l’auteur [G.C.] plaide pour l’abandon de l’adjonction de nitrate ou de nitrite dans le jambon et autres produits de charcuterie.

Commentaire du blog

Pour sa démonstration, l’auteur [G.C.] s’appuie sur le communiqué du 26 octobre 2015 du Centre International de Recherche sur le Cancer [CIRC]. Cependant, notons-le, si elle établit un lien statistique entre la consommation de la charcuterie et le risque d’apparition du cancer colorectal, l’agence en question n’incrimine nullement l’adjonction, lors de la salaison, d’ions nitrate NO3- ou d’ions nitrite NO2-. «Le CIRC reconnaît qu’on «ne sait pas encore bien comment la viande rouge et la viande transformée accroissent le risque de cancer» même si des présomptions pèsent sur le rôle du fer héminique, présent dans le sang contenu dans la viande» (voir ici).

La thèse soutenue par l’auteur du texte [G.C.] lui est donc personnelle. Elle n’est pas réellement argumentée. Elle fait abstraction des données chiffrées. En voici quelques-unes:

1) Concentration de divers produits alimentaires en nitrosodiméthylamine [NDMA], selon R. Walker, 1990 (en μg kg-1 [n.d. = non détecté])

- Bacon: n.d. – 30

- Viandes salées: n.d. – 4

- Saucisse de Francfort: n.d. – 84

- Salami: n.d.- 80

- Poisson oriental sec et salé: 40-9000

- Fromages (variés): n.d. – 20

- Lait: n.d. – 4.5

- Bière: n.d. – 68

2) Apports quotidiens en nitrosodiméthylamine [NDMA], selon S.D. Gangolli et coll., 1994

Pays

NDMA (μg j-1)

Source principale (% de contribution)

Royaume-Uni

0.53

Viandes salées (81%)

Royaume-Uni

0.60

Bière, viandes salées

Pays-Bas

0.38

Bière (71%)

Allemagne de l’Ouest

1.10

Bière (65%), viandes salées (10%)

Japon

1.8

Poisson séché (91%)

Suède

0.12

Bière (32%), viandes salées (61%)

Finlande

0.08

Bière (75%), poisson fumé (25%)

 

3) Toxicité cancérigène de la nitrosodiméthylamine [NDMA] chez l’animal et chez l’homme.

Il n’existe pas de travail qui permette, chez l’homme, de déterminer directement à partir de quel seuil quantitatif quotidien une consommation régulière de nitrosamine ou de nitrosamide, durant toute une vie, fait apparaître un risque cancérigène. Par contre, l’étude existe chez le rongeur. Une expérimentation importante a porté sur plus de 4000 rats. Chez cet animal, des administrations prolongées, tout au long de l’existence, de nitrosodiméthylamine [NDMA], ou de nitrosodiéthylamine [NDEA] ne commencent à être cancérigènes (foie pour les deux produits, œsophage pour le second) qu’au-delà de 0.01 mg kg-1 j-1 (Peto, R. et coll. 1984). A supposer que les nitrosamines aient à l’égard des cancers la même action chez l’homme et chez l’animal, ce qui n’est pas démontré, on pourrait envisager que, pour un homme de 60 kg, la dose sans effet pour la nitrosodiméthylamine [NDMA] soit de 10 x 60 = 600 μg j-1. Il faudrait qu’un homme de 60 kg ingère quotidiennement plus de 600 μg de nitrosodiméthylamine [NDMA], et ce pendant toute une vie, pour que le risque carcinogène commence à apparaître.

Qu’en déduire?

- Les doses de nitrosamines ingérées par l’homme quotidiennement par l’intermédiaire de la consommation de produits de charcuterie sont faibles. Il est extrêmement peu vraisemblable qu’elles atteignent le seuil du risque carcinogène.

- Si, par pure hypothèse et par application abusive du principe de précaution, on était amené à interdire la commercialisation de viandes préparées avec une adjonction de nitrate ou de nitrite, on pourrait voir, par la suite, certains, du fait d’un raisonnement fautif analogue, réclamer l’interdiction de la commercialisation d’autres pourvoyeurs en nitrosamines: bière, fromages divers, poissons fumés.

L’alarmisme et la fausse science s’associent trop souvent.

This entry was posted in Grief carcinologique and tagged , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , . Bookmark the permalink.

Comments are closed.