Nitrate de l’eau de boisson, composés N-nitrosés

Van Breda, S.G., Mathijs, K., Sagi-Kiss, V., Kuhnle, G.G., van der Veer, B., Jones, R.R., Sinha, R., Ward, M.H. and de Kok, T.M. (2019) Impact of high drinking water nitrate levels on the endogenous formation of apparent N-nitroso compounds in combination with meat intake in healthy volunteers. Environmental Health doi.org/10.1186/s12940-019-0525-z

(voir l'abstract et le texte entier ici)

Certes les ions nitrate NO3- ne sont pas eux-mêmes cancérigènes. Mais, après l’avoir rappelé, les auteurs néerlandais [Université de Maastricht, Pays-Bas] font remarquer qu’au terme de leur cycle entéro-salivaire les nitrates alimentaires parviennent dans la cavité buccale où par la flore bactérienne salivaire ils sont, en partie ou en totalité, transformés en nitrites NO2-. Après déglutition, ces derniers parviennent dans l’estomac et la partie haute de l’intestin grêle. Mis en contact avec les amines et les amides d’origine alimentaire, ils donnent lieu à la formation de composés N-nitrosés, eux-mêmes potentiellement carcinogènes [Although nitrate in itself is not a carcinogen…] [Nitrite can react with N-nitroso compound (NOC) precursors in the gastrointestinal tract, mainly amines and amides, thereby subsequently forming potentially carcinogenic NOCs] [N-nitroso compounds (NOCs) […] are known to be carcinogenic in animals].

Les auteurs néerlandais présentent une étude pilote et randomisée, effectuée chez 19 sujets volontaires (11 hommes, 8 femmes) âgés en moyenne de 28 ans, répartis en deux groupes:

- un groupe A fait de 10 sujets qui pendant 14 jours consomment chaque jour 3.75 grammes kg de poids corporel-1 de viande rouge industriellement cuisinée, bacon, jambon, saucisses notamment, sans dépasser les 300 grammes j-1.

- un groupe B fait de 9 sujets qui pendant 14 jours consomment chaque jour 3.75 grammes kg de poids corporel-1 de viande blanche non industriellement cuisinée, notamment poulet et poitrine de dinde, sans dépasser les 300 grammes j-1.

Pendant les 14 jours, les sujets des deux groupes A et B reçoivent successivement deux types de boisson.

- De J1 à J7, ils ingèrent 2 litres par jour d’une boisson très faiblement nitratée, contenant moins de 1.5 mg NO3- l-1.

- Puis de J8 à J14, ils ingèrent 2 litres par jour d’une boisson richement nitratée. La teneur en nitrate de celle-ci est calculée pour chaque sujet de manière à ce que son ingestion de nitrate soit de 3.7 mg NO3- kg de poids corporel-1 j-1 (259 mg NO3- j-1 par exemple pour un sujet de 70 kg). Cette quantité correspond à la Dose Journalière Admissible [DJA] retenue par le Comité d’experts sur les Additifs Alimentaires de l’OMS et de la FAO depuis 1962.

A J0, J7 et J14, on recueille les urines des 24 heures, permettant d’évaluer l’excrétion urinaire quotidienne en nitrate. A J0, J7 et J14 on recueille également un échantillon fécal. Après son homogénéisation et sa centrifugation, on dispose d’un surnageant liquidien permettant de mesurer des teneurs en composés N-nitrosés.

L’excrétion urinaire moyenne en nitrate NO3-, mesurée en mg NO3- j-1, se répartit chez les sujets des deux groupes comme suit:

 

J7

J14

Groupe A

39

97

Groupe B

23

66

La concentration moyenne en composés N-nitrosés dans le surnageant fécal, mesurée en μmol l-1 se répartit chez les sujets des deux groupes comme suit:

 

J7

J14

Groupe A

18

44

Groupe B

15

30

Les auteurs néerlandais constatent qu’à J7, alors que la boisson est faiblement nitratée, entre les sujets du groupe A et ceux du groupe B les excrétions urinaires en nitrate et les concentrations en composés N-nitrosés dans les surnageants fécaux ne diffèrent pas de manière statistiquement significative.

Par contre, à J14, la boisson étant alors riche en nitrate, par rapport aux résultats enregistrés à J7 les augmentations des excrétions urinaires en nitrate et des concentrations en composés N-nitrosés dans les surnageants fécaux s’avèrent statistiquement significatives dans chacun des deux groupes. La différence enregistrée est statistiquement plus prononcée dans le groupe A que dans le groupe B.

Les auteurs néerlandais considèrent, en conclusion, que, quel que soit le type de viande consommée, la teneur en nitrate de l’eau de boisson peut contribuer de manière significative à la formation endogène de composés N-nitrosés. La formation endogène de composés N-nitrosés est cependant plus marquée lors de la consommation de viande rouge industriellement cuisinée (par exemple, bacon, jambon et saucisses) qu’en cas de consommation de viande blanche [The results of the current human dietary intervention study show that drinking water nitrate can have a significant contribution to the endogenous formation of N-nitroso compounds, independent of meat consumed. The effect is, however, more pronounced in subjects consuming processed red meat].

Commentaire du blog

Dans l’article des auteurs néerlandais, l’idée sous-jacente, certes non formellement exprimée, est l’idée selon laquelle les nitrates alimentaires, notamment les nitrates de l’eau de boisson, seraient cancérigènes dans la mesure où ils contribueraient à la synthèse de composés N-nitrosés, composés connus quant à eux pour être cancérigènes.

Une telle idée, formulée indépendamment des données quantitatives jusqu’à présent connues, est erronée.

1) Chez le rongeur, des administrations prolongées tout au long de l’existence de nitrosodiméthylamine (NDMA) ou de nitrosodiéthylamine (NDEA) ne commencent à être cancérigènes qu’au-delà de 0.01 mg kg-1 j-1 (Peto et coll., 1984).

2) Chez l’homme, les quantités de composés N-nitrosés formés in situ dans l’estomac à partir d’une part des ions nitrite NO2- d’origine salivaire (provenant entre autres des nitrates alimentaires après leur cycle entéro-salivaire) et d’autre part des amines et amides provenant de l’alimentation, de la salive et du suc gastrique ont été évaluées par Licht et Deen en 1982. Leurs calculs ont porté sur la nitrosoproline (NPRO) et la nitrosodiméthylamine (NDMA). Dans les conditions physiologiques, sont respectivement formés dans l’estomac, chaque jour, moins de 1 nmol, soit moins de 0.144 μg de NPRO et environ 0.02 nmol soit environ 1.48 ng de NDMA.

3) Si l’on se base sur ces données quantitatives, chez un homme de 70 kg, le coefficient de sécurité pour la nitrosodiméthylamine (NDMA) vis-à-vis du risque de cancer est énorme. Il pourrait être de 700/0.000148, soit avoisiner les 500 000.

4) La Dose Journalière Admissible (DJA) pour les nitrates a été initialement fixée en 1962  par le Comité d’experts sur les Additifs Alimentaires de l’OMS et de la FAO à 3.7 mg NO3- kg-1 j-1. La décision administrative a alors été prise sans base scientifique sérieuse. Les experts se reportaient uniquement à un article extrêmement succinct, celui de Lehman, 1958, ne consacrant au sujet que quelques lignes. Plus tard, le même Comité a abandonné à juste titre la référence à l’article de Lehman, mais sans modifier pour autant le chiffre initialement retenu.

On regrette que les auteurs néerlandais accordent encore quelque crédit à ce chiffre de 3.7 mg NO3- kg-1 j-1 en réalité factice.

Apparemment, depuis le travail de Licht et Deen, 1982, aucune étude n’a cherché à nouveau à quantifier le plus exactement possible l’importance chez l’homme de la synthèse endogène en dérivés N-nitrosés consécutive aux apports alimentaires en nitrate NO3-. A cet égard, l’étude des auteurs néerlandais n’apporte pas le renseignement chiffré que l’on aurait été en droit d’attendre.

This entry was posted in Grief carcinologique, Métabolisme des nitrates and tagged , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , . Bookmark the permalink.

Comments are closed.