Tours et détours de la science (2)

(suite)

Mills, C.E., Khatri, J., Maskell, P., Odongerel, C. and Webb, A.J. (2016) It is rocket science – Why dietary nitrate is hard to beet ! Part II: Further mechanisms and therapeutic potential of the nitrate-nitrite-NO pathway. British Journal of Clinical Pharmacology 83, 140-151

(voir l'abstract ici)

Dans ce second article, les auteurs britanniques continuent leur présentation des tours et détours [twists and turns] qui, au cours des vingt dernières années, ont pu affecter la compréhension scientifique de la voie métabolique nitrate-nitrite-NO [Cf. rubrique précédente du…].

Le tableau se continue de la façon suivante:

 

Science du passé

Science du présent: effets positifs ou favorables

10 L’ion nitrate NO3- exerce-t-il une protection vis-à-vis des lésions d’ischémie-reperfusion ?

 

Oui

[Webb et coll., 2008]

11 L’ion nitrite NO2- exerce-t-il un effet sur la fonction plaquettaire ?

Non [Bran et coll., 2005]

En fait, oui

[Webb et coll., 2008)

12 Les ions nitrate NO3- et nitrite NO2- sont-ils l’objet d’un phénomène de tolérance, diminuant à la longue leurs effets ?

 

Non

[Dejam et coll, 2007; Vanhatalo et coll, 2010; Sobko et coll, 2010;

Kapil et coll, 2015]

13 Les ions nitrate NO3- et nitrite NO2- modifient-ils le métabolisme de la mitochondrie ?

 

Oui, au cours de l’exercice [Larsen et coll., 2007, 2011; Bailey et coll., 2009]

14 L’activation de l’ion nitrite NO2- requiert-elle des conditions hypoxiques ?

Oui, très habituellement [Lundberg et coll., 2009]

Pas toujours

[Omar et coll., 2015]

15 L’ion nitrite NO2- provenant de l’ion nitrate NO3- est-il toxique ?

Oui, il est potentiellement cancérigène selon de vieilles notions [Tannenbaum et Correa, 1985]

En fait, non – aucune association réellement notée avec le cancer

[Bryan et coll., 2012]

16 Autres possibilités thérapeutiques pour les ions nitrate NO3- et nitrite NO2-

 

Hémorragie sous-arachnoïdienne [Pluta et coll., 2005];

Hypertension artérielle pulmonaire [Zuckerbraun et coll., 2010]

17 Combinaisons diététiques avec les ions nitrate NO3- et nitrite NO2- potentiellement bénéfiques

 

Acide ascorbique, acide oléique, acide linoléique conjugué, flavanols du cacao, polyphénols de l’alimentation et du vin, alcool, lumière solaire

Le chapitre 15 retient l’attention.

Les auteurs britanniques rappellent que les humains sont exposés aux nitrates et aux nitrites dès leur naissance. Les concentrations en nitrate et en nitrite du colostrum ne sont-elles pas, en moyenne et respectivement, de 1.9 mg NO3- l-1 et de 0.9 mg NO2- l-1? Il ne serait pas impossible, d’ailleurs, que les nitrites du colostrum soient pourvus d’un rôle anti-infectieux dès les premiers jours de la vie [This may provide an important early anti-infective function]. Par la suite, les concentrations en nitrate du lait maternel s’élèvent, en moyenne, jusqu’à 5.3 mg NO3- l-1, se stabilisant autour de 2.8 mg NO3- l-1. A l’inverse, les concentrations en nitrite du lait baissent rapidement, et se stabilisent autour de 0.1 mg NO2- l-1.

Plus tard dans la vie, une exposition aux nitrates et aux nitrites est consécutive à une décision humaine. On ajoute, en effet, des nitrates et des nitrites à la viande pour prévenir le développement bactérien, notamment celui du Clostridium botulinum, et assurer ainsi sa conservation. Il est légalement possible d’ajouter jusqu’à 150 mg de nitrite de sodium NaNO2, soit 100 mg de nitrite NO2, par kilo de viande. Le nitrite de sodium NaNO2, le nitrite de potassium KNO2, le nitrate de sodium NaNO3 et le nitrate de potassium KNO3 sont connus comme additifs alimentaires sous les numéros respectifs de E249, E250, E251 et E252 [From infancy onwards, exposure continues as nitrite (E249, E250) and nitrate (E251, E252) are widely-used EU-approved food additives for meat preservation, to reduce pathogenic growth, most notably Clostridium botulinum, with sodium nitrite added in concentrations up to 150 mg/kg].

La question clé, disent les auteurs, est celle qui concerne l’éventuel effet carcinogène des nitrates et des nitrites.

En 2006, le Centre International de Recherche sur le Cancer [CIRC, Genève, Suisse] opposait

- la réduction du risque de cancer gastrique faisant suite à l’ingestion de nitrates NO3- provenant principalement de légumes, telle qu’elle ressortait de certaines études épidémiologiques

- à l’augmentation des risques apparaissant selon d’autres études après l’ingestion de nitrates NO3- ou de nitrites NO2- provenant de viandes ayant été l’objet d’une conservation par les nitrites.

Le Centre International de Recherche sur le Cancer [CIRC] proposait son explication: La formation de composés N-nitrosés aurait été

- inhibée par la présence de vitamine C, abondante dans les légumes,

- et, à l’inverse, favorisée par la présence de produits aptes à être l’objet de nitrosation, comme on en trouve dans la viande.

Dès lors, considérant qu’il ne pouvait pas se prononcer sur la carcinogénicité des nitrates et des nitrites indépendamment des facteurs nutritionnels associés, le groupe de travail du Centre International de Recherche sur le Cancer [CIRC] précisait que son avis

- ne pouvait pas porter sur les «nitrates ou nitrites ingérés» stricto sensu,

- mais devait plutôt porter sur les «nitrates et nitrites ingérés, quand l’ingestion se fait dans des conditions permettant une nitrosation endogène». Dans ce cas, l’ingestion pouvait être classée comme «probablement carcinogène chez l’homme (groupe 2A)».

[As the cancer hazard from nitrate/nitrite ingestion could not be determined without considering these other factors, the Working Group defined the agent not as “ingested nitrate or nitrite”, but as “ingested nitrate or nitrite under conditions that result in endogenous nitrosation”, which was categorized as probably carcinogenic to humans (Group 2A)].

Le procédé est très inhabituel. C’est la première fois, font remarquer les auteurs, que, dans l’évaluation de la carcinogénicité éventuelle d’un produit, un organisme officiel fait intervenir une condition aléatoire [This marked the first use of a mechanistic event (endogenous nitrosation) leading to carcinogenesis in the wording of an evaluation statement]

En fait, recueillant en 2012 à la fois des études expérimentales animales et des études épidémiologiques humaines, Bryan et coll. ont présenté une revue de synthèse consacrée à l’éventuel risque carcinogène des nitrates et nitrites alimentaires. Ils mettent l’accent sur plusieurs études publiées avant 2006, que le Centre International de Recherche sur le Cancer [CIRC] n’a pas pris en considération, et également sur des études publiées après 2006. Ils ne trouvent, en définitive, aucune association entre les apports en nitrate NO3- ou en nitrite NO2- et le risque de cancer gastrique [Bryan et al. conducted a review of the evidence from experimental animal studies and human epidemiological studies on cancer risk from ingested nitrate or nitrite, emphasising studies not included in, or published subsequent to the 2006 IARC evaluation […]. They found no association between nitrate/nitrite intake and risk of stomach cancer] [Cf. rubrique du 19 novembre 2012].

Paru en décembre 2015, un rapport récent du World Cancer Research Fund [WCRF, Londres, Royaume-Uni] stipule même que les consommations de légumes non féculents tels le brocoli, le chou, le chou-fleur, les épinards, la carotte, la laitue, la tomate et le poireau ont pour effet de diminuer le risque des cancers de la bouche, du pharynx, du larynx, de l’œsophage et de l’estomac [The World Cancer Research Fund Continuous Update Report (December 2015) reports strong evidence for non-starchy vegetables, such as broccoli, cabbage, spinach, kale, cauliflower, carrots, lettuce, tomatoes, leek, swede and turnip decrease the risk of cancer of the mouth, pharynx, larynx, oesophagus and stomach].

Plusieurs de ces légumes verts sont riches en nitrate, comme le montre le tableau ci-dessous:

Teneur en nitrate

Légume ou eau

Importante diminution du risque de cancer, selon le WCRF [Londres] (2015)

Forte

>1000 mg NO3- kg-1

Epinards, laitue

 

 

Roquette, betterave, céleri

Bouche, pharynx, larynx, œsophage, estomac

Moyenne

100 à 1000 mg NO3- kg-1

Chou, carotte, navet, concombre, haricot vert

 

Ciboule, ail

Bouche, pharynx, larynx, œsophage, estomac

 

Estomac

Basse

< 100 mg NO3- kg-1

Oignon

 

Tomate

Estomac

 

Bouche, pharynx, larynx, œsophage, estomac

Basse

< 100 mg NO3- l-1

Eau d’adduction publique

 

Très basse

< 10 mg NO3- l-1

Eau minérale

 

Dans leur conclusion, les auteurs reviennent sur la conception qui l’emporte. Les légumes fournisseurs de nitrates alimentaires contribuent, réellement, à diminuer le risque de divers cancers […the potential of dietary nitrate containing vegetables to reduce the risk of certain cancers].

A noter aussi, à titre anecdotique, que l’Agence Spatiale Européenne [ESA, Paris, France] a recommandé la culture dans l’espace de légumes comme la betterave, la laitue, les épinards et la roquette, riches en nitrate, de manière à fournir de la nourriture lors des voyages spatiaux de longue durée [The European Space Agency recommends beetroot, lettuce, spinach and rocket (high-nitrate vegetables) are grown to provide food for long term space missions].

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