Substances entravant l’action anti-hypertensive des ions nitrate et nitrite

Oliveira-Paula, G.H., Pinheiro, L.C. and Tanus-Santos, J.E. (2019) Mechanisms impairing blood pressure responses to nitrite and nitrate. Nitric Oxide 85, 35-43

(voir l'abstract ici)

Affection multifactorielle, l’hypertension artérielle est associée à une diminution de la synthèse endogène en oxyde nitrique NO, ainsi qu’à une diminution de sa biodisponibilité [Hypertension is a multifactorial disease associated with impaired nitric oxide (NO) production and bioavailability]. L’action anti-hypertensive des ions nitrate NO3- et nitrite NO2- ne fait plus de doute [There is no doubt that nitrite and nitrate exert antihypertensive effects].

Après avoir rappelé l’existence du cycle entéro-salivaire des nitrates, les auteurs brésiliens [Université de Sao Paulo] passent en revue les différents agents pouvant atténuer l’action anti-hypertensive des ions nitrate NO3- et nitrite NO2-, et expliquent les mécanismes mis en jeu.

Les différents facteurs en cause sont les suivants:

- légumes riches en glucosinolates,

- consommation de tabac,

- bains de bouche antiseptiques,

- inhibiteurs de la pompe à protons,

- acide ascorbique à forte dose,

- inhibiteurs de la xanthine oxydase.

Légumes riches en glucosinolates

Autrefois dénommés thioglucosides, les glucosinolates associent un glucose à un groupe sulfate. Certains légumes, tels le chou, le chou-fleur et le brocoli, en sont assez riches. La myrosinase dont ils sont également pourvus a pour propriété de convertir durant la mastication les glucosinolates en thiocyanates. Les thiocyanates exercent alors vraisemblablement dans la cavité buccale une action inhibitrice à l’égard de la conversion des ions nitrate NO3- en ions nitrite NO2-, ce qui pourrait contribuer à atténuer l’action anti-hypertensive des apports alimentaires en nitrate NO3- [This mechanism is associated with impaired conversion of nitrate into nitrite in the oral cavity, thus attenuating the blood pressure  responses to nitrate]

Consommation de tabac

La fumée de cigarette contient des ions cyanure CN-. A la suite de réactions de transsulfuration catalysées par deux systèmes enzymatiques, la thiosulfate sulfotransférase [TST] et la 3-mercapto-pyruvate sulfurtransférase [MST], les ions cyanure sont transformés en ions thiocyanate SCN-. Il se pourrait que les ions thiocyanate SCN- dérivés de la fumée de cigarette diminuent la sécrétion active de nitrate par la glande salivaire. D’où une moindre formation de nitrite dans la cavité buccale et un moindre effet anti-hypertenseur de la consommation alimentaire en nitrate NO3- [It has been suggested that nitrate uptake by salivary glands is blunted by cigarette smoking-derived SCN-, resulting in decreased nitrate levels available to be reduced to nitrite, thereby precluding the hypotensive responses to nitrate].

Bains de bouche antiseptiques

La conversion des nitrates NO3- salivaires en nitrites NO2- salivaires dans la cavité buccale sous l’effet des bactéries nitrato-réductrices est diminuée, voire abolie, par certains bains de bouche antiseptiques. D’où une diminution de la concentration en nitrite NO2- salivaire et une diminution de l’effet anti-hypertenseur de la consommation alimentaire en nitrates NO3- [Once nitrate is taken up by the salivary glands, it is converted into nitrite by nitrate-reducing bacteria in the oral cavity. This process is abolished by antiseptic mouthwash, which destroys those bacteria, leading to decreases in nitrite concentrations and counteracting the blood pressure-lowering effects of nitrate]. L’effet cardiovasculaire des bains de bouche antiseptiques est démontré à la fois par des études cliniques et des études expérimentales [The relevance of this effect to the cardiovascular health has been shown both in clinical and experimental studies].

Inhibiteurs de la pompe à protons [IPP]

Dans le milieu acide de l’estomac, la protonation de l’ion nitrite NO2- d’origine salivaire donne lieu à la formation intragastrique d’acide nitreux HNO2, lequel se décompose ensuite en oxyde nitrique NO et trioxyde de diazote N2O3, lui-même  à l’origine de S-nitrosothiols RSNO. Les S-nitrosothiols semblent être capables de maintenir la bioactivité de l’oxyde nitrique NO.

Les inhibiteurs de la pompe à protons [IPP] diminuent la sécrétion acide de l’estomac. Chez le rat sujet à une hypertension expérimentale des études ont montré que l’oméprazole diminue l’activité hypotensive de l’administration orale de nitrite NO2-, sans réduire celle de son administration intraveineuse. Il en est de même dans une étude clinique avec l’ésoméprazole [InexiumR].

Au cours de plusieurs études, on a d’ailleurs constaté que l’utilisation régulière par l’homme des inhibiteurs de la pompe à protons [IPP] se trouve associée à une augmentation à la fois du risque cardiovasculaire et de la dysfonction endothéliale.

Fortes doses d’acide ascorbique

Il a été montré que de faibles doses d’acide ascorbique augmentent la production des S-nitrosothiols RSNO provenant de l’ingestion de nitrites NO2-. Augmentant sans doute les quantités d’oxyde nitrique NO formées dans la lumière gastrique, elles renforcent ainsi l’effet anti-hypertenseur des nitrites ingérés [It was recently reported that low doses of ascorbate increase the production of S-nitrosothiols promoted by oral treatment with nitrite and improve the anti-hypertensive responses to this anion., probably due to greater amounts of nitrite-derived NO formed in the gastric lumen […]].

Par contre, de hautes doses d’acide ascorbique ont l’effet inverse. Elles sont associées à une diminution significative, dans l’estomac, des S-nitrosothiols RSNO provenant des nitrites NO2-, réduisant ainsi leur effet anti-hypertenseur [High concentrations of ascorbate have been shown to destroy RSNO, which leads to impaired antihypertensive responses to nitrite].

Inhibiteurs de la xanthine oxydase

Les ions nitrite NO2- qui échappent à la réduction intra-gastrique parviennent, une fois absorbés, dans la circulation générale. Ils sont ensuite convertis par la xanthine oxydase XO (ou xanthine oxydo-réductase XOR) en oxyde nitrique NO.

La xanthine oxydase catalyse, en fait, différentes réactions biochimiques: 1) Hypoxanthine → xanthine puis xanthine → acide urique. 2) Oxygène O2 → superoxyde O2.- et peroxyde d’hydrogène H2O2. 3) NO2 → NO.

En raison du rôle important de la xanthine oxydase dans la dégradation des purines, les inhibiteurs de la xanthine oxydase sont largement utilisés pour traiter la goutte et l’hyperuricémie: citons, par exemple, l’allopurinol [ZyloricR] et le fébuxostat [AdenuricR].

Mais le rôle de la xanthine oxydase dans la réaction NO2 → NO fait craindre que l’utilisation thérapeutique des inhibiteurs de la xanthine oxydase ait aussi pour inconvénient d’amoindrir les effets bénéfiques des ions nitrate NO3- et nitrite NO2- ingérés. Des études chez l’animal le suggèrent. Il reste à le vérifier chez l’homme [Taken together, these findings suggest that it is possible that the wide use of xanthine oxidoreductase inhibitors such as allopurinol and febuxostat may suppress the beneficial effects of nitrite and nitrate. Clinical studies are necessary to examine this possibility].

Commentaire du blog

- Les données actuelles de la littérature concluent en des modalités d’action différentes de l’ion thiocyanate SCN- sur le cycle entérosalivaire des nitrates, selon qu’il provient des légumes riches en glycosinolates ou de la fumée de cigarette. Pour les auteurs brésiliens, les concentrations plasmatiques et salivaires en thiocyanate seraient nettement plus élevées à l’occasion de l’exposition au tabac que lors de la simple consommation de légumes riches en glycosinolates; ce pourrait être l’explication. D’autres études sur le sujet sont souhaitables.

- L’action anti-hypotensive, ou anti-anti-hypertensive, de la fumée de cigarette, de certains bains de bouche antiseptiques et des inhibiteurs de la pompe à protons [IPP], exercée par le biais d’un effet négatif sur le cycle entéro-salivaire des nitrates, est bien étayée par diverses études chez l’homme. Si elle est vraisemblable, l’action anti-anti-hypertensive, chez l’homme, des légumes riches en glucosinolates, de la vitamine C à forte dose et des inhibiteurs de la xanthine oxydase mérite d’être encore confirmée.

- Il serait intéressant de mieux connaître les doses et durées d’administration des différents produits cités à partir desquelles les effets indésirables, anti-hypotenseurs ou anti-anti-hypertenseurs, se manifestent.

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