Les légumes et leurs nitrates «oubliés»

Guéguen, L. (2011) L’agriculture rend-elle vraiment notre assiette toxique? Science et pseudo-sciences 297, 26-32

(voir la présentation du n° 297 de Science et pseudo-sciences ici)

En partenariat avec le Réseau Environnement Santé [RES] et l’Organisation Française du Fonds Mondial pour la Nature [WWF France], l’association «Générations Futures» et le réseau européen «Alliance pour la Santé et l’Environnement» [HEAL] ont récemment effectué une enquête sur les substances chimiques d’origine alimentaire susceptibles d’être cancérigènes. Les résultats en ont été rendu publics en décembre 2010 (voir les résultats de l'enquête ici).

Entre juillet et septembre 2010, les enquêteurs achètent dans divers supermarchés des aliments «non bio» composant, pour une journée, le repas type d’un enfant d’une dizaine d’années. Ils y découvrent 128 «résidus chimiques», représentant 81 substances différentes, 36 pesticides différents, 47 substances différentes éventuellement cancérigènes. Ils s’inquiètent de la présence de résidus de pesticides, d’additifs alimentaires, de dioxines, de furanes, de polychlorobiphényles [PCB], de métaux lourds, de plastifiants tels des phtalates, de bisphénol A [BPA], de perfluorocarbures [PFC]. Et concernant les nitrates, ils signalent la découverte d’«1 résidu de nitrate dans l’eau», [30.2 mg NO3- l-1], sans s’attarder davantage.

Volontairement alarmiste, le message conclut: «La réalité de l’exposition des consommateurs aux contaminants possiblement cancérigènes et/ou perturbateurs endocriniens [PE] est préoccupante

Par contre, conformément à la recommandation inscrite dans le Programme National Nutrition Santé [PNNS], les enquêteurs conseillent de manger au moins 5 fruits et légumes par jour.

Directeur de recherches honoraire de l’Institut National de la Recherche Agronomique [INRA], membre de l’Académie d’Agriculture de France [AAF], membre du comité de parrainage de l’Association Française pour l'Information Scientifique [AFIS], Léon Guéguen s’insurge, dans son article, contre la faible valeur scientifique de l’enquête ainsi présentée.

Ce n’est pas la présence des substances chimiques énumérées qui compte, explique-t-il, mais leur quantité. Les doses des «résidus chimiques» trouvés dans l’assiette des enfants sont, en réalité, infimes. «Avec le progrès, le zéro devient de plus en plus petit», remarque, de façon imagée, l’académicien. Il souligne que «tant que la dose limite acceptable n’est pas dépassée, il n’y a pas lieu de s’inquiéter». De même, le soi-disant effet «cocktail», qui serait consécutif à l’association de plusieurs substances chimiques, n’a jamais reçu ni preuve ni démonstration.

Notant que l’étude ne porte que sur des produits «non bio», il propose l’observation suivante: «Il est évident que, même dans l’hypothèse de l’absence totale de pesticides de synthèse (ce qui n’est pas garanti), les aliments «bio» contiennent aussi des dizaines de «résidus chimiques»».

Comme il le fait, enfin, remarquer, le terme «résidu» employé pour parler des nitrates est impropre dans la mesure où ces aliments de la plante y sont naturellement présents. Il ajoute que, même présents en grande quantité, comme c’est le cas dans certains légumes, les nitrates «sont inoffensifs (sauf chez les enfants en bas âge) et [que] plusieurs études récentes leur attribuent même des effets bénéfiques sur la santé.»

Commentaire du blog

La restriction formulée par L. Guéguen: «sauf chez les enfants en bas âge» mérite une brève explication. Les nitrates présents dans le biberon ne sont dangereux pour le nourrisson, lui faisant courir un risque de méthémoglobinémie, que si, bactériologiquement contaminé, le biberon contient plus de 106 germes ml-1. Si, à l’inverse, il contient moins de 106 germes ml-1, les nitrates restent à l’état de nitrate dans le biberon; le nourrisson ne court alors aucun risque de méthémoglobinémie, quelle que soit la quantité de nitrate ingérée. [Cf. rubriques du 7, 11 et 14 mai 2010].

Il est instructif de constater que les enquêteurs trouvent, pour reprendre leur expression, «1 résidu de nitrate dans l’eau» et qu’ils s’abstiennent, dans les légumes qu’ils ont achetés et analysés (salade, scarole, haricots verts), de signaler la présence de nitrates en grande quantité. [La salade, par exemple, ne contient-elle pas, en moyenne, quelque 1000 mg NO3- l-1?]. L’«oubli» ne peut être que volontaire. S’ils l’avaient signalé, il leur aurait ensuite été difficile de concilier leur conception négative du «résidu chimique» avec la recommandation officielle, et justifiée, d’ingérer 5 fruits et légumes par jour. Idéologie et science n’ont jamais été vraiment compatibles.

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