Eutrophisation des eaux marines: Le débat azote-phosphore hors de nos frontières

Howarth, R. and Paerl, H.W. (2008) Coastal marine eutrophication. Control of both nitrogen and phosphorus is necessary. Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA 105, E103

Schindler, D.W. and Hecky, R.E. (2008) Reply to Howarth and Pearl: Is control of both nitrogen and phosphorus necessary? Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA 105, E104

Bryhn, A.C. and Hakanson, L. (2009) Coastal eutrophication: Whether N and/or P should be abated depends on the dynamic mass balance. Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA 106, E3

Schindler, D.W. and Hecky, R.E. (2009) Reply to Bryhn and Hakanson: Models for the Baltic agree with our experiments and observations in lakes. Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA 106, E4

(voir les correspondances ici)

Comme l’a montré la fameuse expérience de Schindler et coll., dite du Lac 227, l’eutrophisation en eau douce est due, non à l’azote, mais au phosphore. Pour combattre ou prévenir l’eutrophisation d’un lac, l’effort doit porter, non sur la diminution de l’apport azoté, mais sur celle de l’apport phosphoré [rubrique du 15 décembre 2009].

En fin d’article, Schindler et coll. (2008) se posent une question: « Les constatations faites sur les eaux douces du Lac 227 sont-elles applicables aux estuaires, qui sont des milieux salins, de salinité plus ou moins prononcée?». Ils ne répondent pas vraiment. Par prudence, ils se gardent d’extrapoler. Ils considèrent que, sur le sujet des estuaires, les données à la disposition des scientifiques ne sont pas encore suffisamment étayées pour qu’il leur soit possible de se forger une conviction définitive.

Cet article a eu des suites, sous forme, lors des mois suivants, de correspondances au journal [PNAS].

R. Howarth et H.W. Paerl [Etats-Unis] considèrent que la lutte contre le phosphore seul, comme il convient de la mener dans les lacs menacés d’eutrophisation, n’est pas efficace en milieu marin. C’est ce qu’ont tenté, sans résultat, les autorités des décennies durant. Depuis plus de dix ans, les scientifiques des eaux des estuaires partagent le même point de vue: la lutte contre l’eutrophisation des milieux marins et côtiers repose, en réalité, sur un contrôle, à la fois, de l’azote et du phosphore [For decades, governments relied on phosphorus controls alone to solve coastal eutrophication. That experiment failed, and a strong consensus of estuarine and coastal scientists has for more than a decade stated the need to control both nitrogen and phosphorus].

D.W.Schindler et R.E. Hecky [Canada et Etats-Unis] ne semblent pas convaincus. L’archipel de Stockholm est le plus important de toute la mer Baltique. (Il s’étend sur une soixantaine de kilomètres à l’est de Stockholm, jusqu’aux îles d’Åland, et sur plus de 120 kilomètres le long de la côte Est de la Suède). On sait que la réduction des arrivées de phosphore y a permis une importante diminution de la production algale [At least one low-salinity estuary, the Stockholm Archipelago, showed greatly reduced abundance of algae in response to reduction of phosphorus inputs]. La notion selon laquelle l’azote est l’élément permettant de contrôler la réduction de l’eutrophisation en milieu marin repose assez souvent sur les mêmes indicateurs [taux de substances nutritives dissoutes, études de courte durée] dont la défaillance a été constatée lorsqu’il s’est agi naguère de comprendre l’eutrophisation en eau douce du Lac 227 [In many studies the conclusion that nitrogen must be controlled to reduce eutrophication is based on many of the same indicators (dissolved nutrient ratios, short-term bioassays) that gave misleading results in Lake 227]. En conclusion, l’hypothèse selon laquelle le contrôle de l’azote permet d’éviter l’eutrophisation en milieu marin mérite, au moins, un deuxième regard [The assumption that nitrogen will recover coastal waters form eutrophication deserves a second look].

Bryhn et Hakanson [Uppsala, Suède] renchérissent. Pour eux, la solution est dans le contrôle des rejets de phosphore, la diminution de l’azote ressemblant plutôt à un saut dans l’inconnu, particulièrement onéreux. [An abatement plan for the Baltic Sea, which will cost $4billions per year, was signed by all Baltic Sea countries in 2007. According to calculations by the Swedish Department of Agriculture, N reductions in the plan cannot be fulfilled unless a large part of Swedish agriculture would be permanently shut down. However, upgrading urban sewage treatment of P in the catchment could decrease the trophic state of the Baltic Sea to levels of the years 1900-1920. Conversely, N abatement is a very expensive shot in the dark that may favor cyanobacteria instead of the water quality].

Schindler et Hecky confirment le coût fort élevé de la lutte contre l’azote, et ses éventuels retentissements néfastes sur l’agriculture [As the authors point out, control of nitrogen in runoff could be costly enough to cripple agriculture in some areas]. A ce sujet, ils reprennent l’expression “shot in the dark” de leurs collègues suédois. Tant qu’en milieu marin, des études à grande échelle et sur une longue période [comme celles qui, pour l’eau douce, ont eu lieu dans le Lac 227] n’auront pas été menées, la lutte contre l’azote en milieu marin constituera un saut dans l’inconnu, et un saut fortement onéreux [We agree with them that until ecosystem-scale evidence is obtained, «N abatement is a very expensive shot in the dark»].

Commentaire du blog

Ce blog consacré aux nitrates et à la santé se permet ici une incursion sur une question annexe, environnementale, celle des mécanismes de l’eutrophisation en milieu marin. Il lui paraît, en effet, intéressant de rendre compte du débat courtois et sérieux auquel, sous forme de lettres à une grande revue, une demi-douzaine de scientifiques américains, canadiens et suédois ont participé en 2008 et 2009.

En France, sur le sujet des «marées vertes» en Bretagne, le climat est tout autre. Le 28 juillet 2011, le journal Le Monde intitule son éditorial de première page: «Algues vertes: l’insupportable déni». Avec véhémence, il s’en prend à ceux qui émettent des doutes sur «la responsabilité des effluents agricoles dans la prolifération des algues vertes». En page 7 du même journal, dans un article intitulé: «Sur le terrain, les défenseurs du nitrate ne désarment pas», G. Allix se montre plus explicite. Il s’appuie sur des propos de P. Aurousseau, «chercheur à l’INRA et président du conseil scientifique de l’environnement en Bretagne»: «La responsabilité des nitrates agricoles», affirme ce dernier, «est parfaitement démontrée».

Certains regretteront le ton supérieur et intimidateur. Il aurait, sans doute, été préférable que les journalistes du Monde, et P. Aurousseau, présentent réellement une argumentation scientifique, sans que soient, par ailleurs, occultés les points de vue émis hors de nos frontières.

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