Bonnes questions, moins bonnes réponses

Cunningham, E. (2013) Dietary nitrates and nitrites–Harmful? Helpful? Or Paradox? Journal of the Academy of Nutrition and Dietetics 113, 1268

(voir l'article entier ici)

Membre du centre d’information de l’Académie américaine de Nutrition et Diététique [Academy of Nutrition and Dietetics Knowledge Center Team (Chicago, Illinois)], l’auteur pose de bonnes questions:

«Les nitrates alimentaires sont-ils dangereux pour la santé? Sont-ils, au contraire bénéfiques? Ou, à titre de paradoxe, sont-ils à la fois dangereux et bénéfiques?».

Les réponses qu’elle apporte ne sont pas conformes aux données de la science [Cf. le «Commentaire du blog», ci-dessous].

Dans sa page consacrée à la «Question du Mois» [«Question of the Month»], l’auteur commence par évoquer les deux griefs traditionnellement formulés à l’encontre des nitrates alimentaires, celui de la méthémoglobinémie du nourrisson et celui du cancer de l’adulte.

• Selon l’Académie Américaine de Pédiatrie (2005), dit-elle, ce sont les nourrissons dont les biberons sont préparés avec une eau de puits riche en nitrates qui sont le plus menacés par le risque méthémoglobinémique [According to the American Academy of Peditarics (AAP), infants fed formula prepared with well water contaminated with nitrates are at the greatest risk of methemoglobinemia or «blue baby syndrome»].

• Elle rappelle ensuite qu’en théorie les apports en nitrate ou en nitrite augmentent la synthèse endogène de composés N-nitrosés, eux-mêmes potentiellement carcinogènes. Indirectement, les nitrates et les nitrites pourraient être pourvoyeurs de cancer, encore que le fait, reconnaît-elle, reste à établir [Dietary intake of nitrates and nitrites can increase the endogenous formation of N-nitroso compounds […]. Nitrates and nitrites and their resulting N-nitroso compounds may be the key, but the research continues to be monitored].

Elle continue en soulignant la découverte plus récente d’effets bénéfiques sur la santé liés aux apports alimentaires en nitrate et en nitrite. Par l’intermédiaire de leur transformation en oxyde nitrique NO, les ions nitrate et nitrite font baisser la tension artérielle en même temps qu’ils protègent des maladies cardiovasculaires [There is emerging evidence that conversion of dietary nitrate and nitrite to nitric oxide has beneficial effects in cardiovascular disease, with promising results in the lowering of blood pressure], sans compter que la consommation de betterave améliore les performances sportives [A study by Murphy and colleagues shows that eating cooking beets «acutely imporves running performance»].

Arrivée à ce stade de sa présentation, il n’est pas facile pour l’auteur de conclure:

• Comme l’expriment Murphy et coll., dit-elle, on ne peut qu’enregistrer un «apparent paradoxe», les nitrates s’avérant à la fois dangereux et bénéfiques. Ce «paradoxe» justifie de nouvelles recherches [However, the authors make clear that the «apparent paradox» of nitrates being both harmful and healthful needs more research].

• Ceci étant, admet-elle, les effets bénéfiques liés aux apports alimentaires en nitrate incitent la communauté scientifique à revoir la conception traditionnelle forgée à leur égard. Une révolution des esprits est en marche [The positive research challenges the traditional view of nitrates, but is still in its infancy].

• En raison des effets bénéfiques des nitrates, les spécialistes de la nutrition et de la diététique recommandent une consommation abondante de légumes [Implications of emerging research aside, the recommendation to eat more vegetables is one of the tried and true recommendations for a healthy diet].

Commentaire du blog

Rapidement évoqués par l’auteur, les effets bénéfiques sont bien réels. On peut, à ce sujet, consulter, la page «RUBRIQUES PAR THEMES».

Par contre, la présentation des griefs traditionnels est imparfaite.

A) Lorsqu’un biberon est préparé avec une eau de puits riche nitrates et contenant, par ailleurs, moins de 106 germes ml-1, les nitrates du biberon ne peuvent pas être transformés en nitrites. Une telle eau de puits ne fait courir aucun risque de méthémoglobinémie.

Le risque de méthémoglobinémie du nourrisson n’apparaît que lorsque l’eau de puits servant à la préparation du biberon est nitratée et, en outre, bactériologiquement très contaminée: plus de 106 germes ml-1. Les nitrates du biberon sont alors, en partie ou en totalité, transformés en nitrite. Les nitrites ingérés transforment l’hémoglobine du nourrisson en méthémoglobine.

Aucun risque de méthémoglobinémie du nourrisson n’existe, par contre, avec l’eau d’adduction publique. Celle-ci est bactériologiquement contrôlée. Elle contient toujours moins de 102 germes ml-1. Quelle que soit leur concentration, les nitrates présents dans le biberon restent alors obligatoirement à l’état de nitrates. Le nourrisson est alors à l’abri de tout risque méthémoglobinémique.

Sur les questions d’ordre bactériologique, on consultera les rubriques des 7, 11 et 14 mai 2010.

B) Il n’existe pas de risque carcinogène lié aux nitrates alimentaires.

L’ensemble des études épidémiologiques qui ont pu s’accumuler depuis quarante ans ont échoué dans leur tentative de montrer un lien quelconque entre les apports en nitrate et l’incidence des cancers en général, comme d’un cancer en particulier. C’est ce qu’ont admis dès 1995 le Comité Scientifique de l’Alimentation Humaine, en Europe, et le Subcommittee on Nitrate and Nitrite in Drinking Water aux Etats-Unis.

D’ailleurs, on sait que la synthèse endogène de nitrate par l’intermédiaire de la voie de la NO synthase (ou de la L-arginine) est très fortement augmentée lors des efforts physiques et lors des séjours en altitude. Si l’on raisonnait par l’absurde, on ferait remarquer que si les ions nitrate, parvenus dans le plasma par voie alimentaire, étaient cancérigènes, les ions nitrate parvenus dans le plasma par voie endogène l’étant alors tout autant, il faudrait fortement déconseiller la pratique du sport ou les séjours en montagne, conséquence bien incongrue.

On voit qu’en réalité, tout est simple. Si l’on excepte les cas très particuliers de la préparation d’un biberon avec une eau de puits «sordide», ou encore, pour les mêmes raisons, celle de la consommation par le nourrisson d’une soupe de légumes laissée trop longtemps à température ambiante, les ions nitrate ne font courir aucun risque sanitaire. Ils sont, au contraire, extrêmement bénéfiques. C’est à juste titre que l’auteur recommande une consommation abondante et régulière de légumes.

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