Nitrate de l’eau de boisson et cancer colorectal

Schullehner, J., Hansen, B., Thygesen, M., Pedersen, C.B. and Sigsgaard, T. (2018) Nitrate in drinking water and colorectal cancer risk: A nationwide population-based cohort study. International Journal of Cancer. Sous presse.

(voir l'abstract ici)

Les auteurs danois [Université de Aarhus, Danemark] présentent une importante étude de cohorte consacrée aux liens éventuels entre la concentration en nitrate NO3- de l’eau de boisson et le risque d’apparition du cancer colorectal.

Ils calculent chez 2.7 millions d’adultes les apports en nitrate NO3- provenant de l’eau d’adduction publique ainsi que les apports qui proviennent des eaux de puits privés entre le 1er janvier 1978 et le 31 décembre 2011. Les analyses principales seront réalisées sur les 1.7 million de personnes les plus exposées. Le suivi commence à l’âge de 35 ans. Pendant la période considérée, pour 23 millions de personnes-années à risque, 5944 cancers colorectaux sont recensés (61% de cancers coliques, 39% de cancers rectaux).

• Pour leur étude statistique, les auteurs répartissent les concentrations des eaux de boisson en cinq quintiles: <1.27; 1.27-2.33; 2.33-3.87; 3.87-9.25 et >9.25 mg NO3- l-1. Pour ces cinq quintiles, les hazard ratios [HR] propres au cancer colique, au cancer rectal et au cancer colorectal dans son ensemble sont les suivants:

 

<1.27

1.27-2.33

2.33-3.87

3.87-9.25

>9.25

Cancer colique

1

1.09

0.98

1.10

1.13

Cancer rectal

1

1.05

1.14

1.15

1.16

Cancer colorectal

1

1.06

1.02

1.11

1.15

• Ils comparent le risque d’apparition des cancers colique, rectal et colorectal:

- chez les sujets exposés à une eau de boisson dont la teneur en nitrate est supérieure à 16.75 mg NO3- l-1

- et les sujets exposés à une eau de boisson dont la teneur en nitrate est inférieure à 0.69 mg NO3- l-1,

et en déduisent les hazard ratios [HR].

Les résultats sont les suivants:

 

Nombre de cas (diagnostics non mutuellement exclusifs)

Hazard Ratio

(Intervalle de confiance)

Cancer colique

3700

1.15 (1.05-1.26)

Cancer rectal

2308

1.17 (1.04-1.32)

Cancer colorectal

5944

1.16 (1.08-1.25)

• Les auteurs constatent que l’augmentation du risque de cancer colorectal augmente significativement lorsque la concentration en nitrate NO3- de l’eau de boisson dépasse le seuil de 3.87 mg NO3- l-1, un seuil situé bien au-dessous de la norme actuelle de 50 mg NO3- l-1 [We found statistically significant increased risks at drinking water levels above 3.87 mg/L, well below the current drinking water standard of 50 mg/L].

Les auteurs sont conscients que leur étude a des limites, et qu’elle contient de possibles facteurs de confusion. Leur étude n’a pu prendre en considération le style de vie des patients, leur activité physique, leur régime alimentaire, leur consommation de viande, de tabac et d’alcool [We could for example not control for individual-level information on life-style and diet [ …] As diet (e.g. red meat), alcohol intake, smoking and lifestyle factors such as physical inactivity are established colorectal cancer risk factors that we could not include in our analyses, the possibility of confounding our results needs to be considered].

Ils considèrent, certes, que les apports en nitrate NO3- ne proviennent pas exclusivement de l’eau de boisson, mais relativisent la source de confusion, faisant remarquer que:

1) dans la population danoise adulte, les apports moyens globaux en nitrate NO3- sont estimés à 61 mg  j-1.

2) lorsque, dans la population danoise, la concentration en nitrate NO3- de l’eau de boisson consommée fait partie des quintiles les plus élevés, l’apport moyen en nitrate NO3- provenant de l’eau de boisson constitue alors une part non négligeable de l’ensemble des apports nitratés.

[A study on the dietary intake of nitrate in the Danish population estimated an average nitrate of 61 mg/d for adults. Therefore, at elevated levels as seen in parts of the Danish population, drinking water will be a major source of nitrate exposure].

Dès lors, au vu de leurs résultats, dans la mesure où à des concentrations inférieures à la limite règlementaire de 50 mg NO3- l-1 les nitrates NO3- de l’eau de boisson semblent augmenter le risque d’apparition du cancer colorectal, évoquant le principe de précaution, les auteurs danois suggèrent que les autorités sanitaires s’enquièrent du bien-fondé d’une éventuelle diminution de la norme actuelle [Our results add to the existing evidence suggesting increased colorectal cancer risk at drinking water nitrate concentrations below the current drinking water standard […] Considering all evidence, not only in the light of the precautionary principle, a discussion about a reduction of the drinking water standard is warranted].

Commentaire du blog

Dans cette étude danoise, les concentrations en nitrate NO3- des eaux de boisson consommées sont faibles. Alors que la concentration maximale admissible édictée en 1980 par le Conseil des Communautés européennes est de 50 mg NO3- l-1, les quatre cinquièmes des concentrations en nitrate de l’étude sont inférieures à 9.25 mg NO3- l-1. L’incidence du cancer colorectal semble augmenter lorsque la concentration en nitrate NO3- de l’eau de boisson consommée devient supérieure à 3.87 mg l-1.

La concentration de 3.87 mg NO3- l-1 est infime en comparaison de la concentration en nitrate de légumes comme la salade, les épinards et la betterave, habituellement comprise entre 1000 et 3000 mg NO3- kg-1 (250 à 550 fois plus). Selon Gangolli et coll. (1994), les apports en nitrate en provenance de la nourriture solide représentent entre 88 et 96 % des apports en nitrate totaux, et les apports en nitrate en provenance de l’eau de boisson n’en représentent que 4 à 12 % [The estimated dietary intake of nitrate ranges from 31 to 185 mg/day in various European countries. Food and drinking water can account for 88-96% and 4-12% of the total nitrate intake respectively].

Certes, comme l’évoquent les auteurs, la non-prise en compte de facteurs tels le style de vie, l’activité physique, la consommation de viande, de tabac ou d’alcool peut être source d’erreur ou de confusion statistique. Mais le principal facteur de confusion paraît autre. Il vient de la prise en compte d’apports nitratés minoritaires sans prise en compte des apports nitratés majoritaires, provenant, on le sait, des légumes.

This entry was posted in Grief carcinologique and tagged , , , , , , , , , , , , , , , , , , , . Bookmark the permalink.

Comments are closed.