Nitrates dans l’eau et anomalies congénitales

Holtby, C.E., Guernsey, J.R., Allen, A.C., VanLeeuwen, J.A., Allen, V.M. and Gordon, R.J. (2014) A population-based case-control study of drinking-water nitrate and congenital anomalies using geographic information systems (GIS) to develop individual-level exposure estimates. International Journal of Environmental Research and Public Health 11, 1803-1823

(voir l'abstract ici)

Les auteurs canadiens présentent une étude cas-contrôles effectuée dans le comté de Kings. Situé au sud-ouest de la province de Nouvelle-Ecosse, incluant la vallée d’Annapolis, ce comté de 58900 habitants a une vocation surtout agricole.

En 1999 et 2000, la concentration de l’eau en nitrate NO3- est mesurée dans 140 puits privés. Entre 1988 et 2006, tous les nouveau-nés du comté atteints d’une anomalie congénitale majeure sont recensés.

Sur ces bases et par une méthode de régression logistique multifactorielle, les auteurs vérifient s’il existe un lien statistique entre la teneur en nitrate de l’eau de boisson et la fréquence des anomalies congénitales majeures observées à la naissance.

Trois catégories de concentrations en nitrates dans l’eau de boisson sont envisagées:

- a) concentration en nitrate dans l’eau inférieure à 4.4 mg NO3- l-1

- b) concentration en nitrate dans l’eau comprise entre 4.4 et 25 mg NO3- l-1

- c) concentration en nitrate dans l’eau supérieure à 25 mg NO3- l-1

L’étude est subdivisée en deux périodes:

1) Première période, de 1987 à 1997, avant que les autorités sanitaires canadiennes n’aient réclamé une adjonction systématique d’acide folique, ou vitamine B9, dans la nourriture.

2) Deuxième période, de 1998 à 2006, au cours de laquelle, dans le but, entre autres, de prévenir toute carence vitaminique pendant la grossesse, une supplémentation systématique d’acide folique dans les aliments à base de céréales est exigée pour l’ensemble de la population [The year 1998 […] is the year in which Canada first began to fortify food containing grain with folic acid nationally for the purpose of ensuring pregnant women were receiving sufficient quantities in their diets].

Résultats:

1) Première période, de 1987 à 1997

Les auteurs constatent un effet protecteur des nitrates à l’égard du risque d’apparition des anomalies congénitales majeures, à la fois lorsque la concentration en nitrate de l’eau de boisson est comprise entre 4.4 et 25 mg NO3- l-1 et lorsqu’elle dépasse 25 mg NO3- l-1 (Odds ratios respectifs de 0.48 et 0.47). L’effet protecteur n’est cependant pas statistiquement significatif [For cases and controls conceived prior to 1998, there appeared to be a non-significant protective effect for exposure to drinking-water nitrate concentrations greater than 1mg NO3--N/l. A trend toward reduced risk of congenital anomalies with nitrate exposure greater than the background concentration was shown for both nitrate exposure categories (1-5.56 mg NO3--N/l and >5.56 mg NO3--N/l].

2) Deuxième période, de 1998 à 2006

A partir du moment où la supplémentation de la nourriture en folates est mise en œuvre, les résultats semblent se modifier. Les auteurs constatent une augmentation du risque d’apparition des anomalies congénitales majeures lorsque la concentration en nitrate de l’eau de boisson est supérieure au seuil de 4.4 mg NO3- l-1. Avec une concentration en nitrate de l’eau de boisson comprise entre 4.4 et 25 mg NO3- l-1, l’augmentation du risque est statistiquement significative (Odds ratio: 2.44). Avec une concentration en nitrate de l’eau de boisson supérieure à 25 mg NO3- l-1, l’augmentation du risque existe aussi, sans être alors statistiquement significative (Odds ratio: 2.25) [For cases and controls conceived after 1998 there was a significantly increased risk of congenital anomalies with nitrate exposure from 1-5.56 mg NO3--N/l  and  a trend toward an increased risk of congenital anomalies with nitrate exposure greater than 5.56 mg NO3--N/l].

Après avoir récolté ces données séparées, les auteurs procèdent ensuite à leur combinaison, envisageant alors l’ensemble des vingt années, de 1997 à 2006. Pour ces vingt années, ils observent une augmentation modeste du risque d’anomalie congénitale majeure à la fois lorsque la concentration en nitrate de l’eau de boisson est comprise entre 4.4 et 25 mg NO3- l-1 et lorsqu’elle est supérieure à 25 mg NO3- l-1. L’augmentation du risque n’est pas statistiquement significative (Odds ratios respectifs de 1.65 et 1.66) [After controlling for all other variables there is a trend-toward a modest increase in risk of congenital anomalies with exposure to nitrate concentrations greater than 1 mg /l, which is the local background nitrate concentration. This trend was present for both exposure categories 1-5.56 mg NO3--N/l and >5.56 mg NO3--N/l. However, this categorical nitrate variable does not attain statistical significance or show a dose-response relationship].

Vient le moment de conclure. Les auteurs canadiens laissent planer un doute sur la responsabilité éventuelle des nitrates de l’eau de boisson dans l’apparition des malformations congénitales majeures. Bien que le pouvoir statistique de l’étude puisse être considéré comme faible, ils observent, disent-ils, une augmentation d’incidence des anomalies congénitales pour des concentrations de nitrate dans l’eau de boisson supérieures à 4.4 mg NO3- l-1, le dixième de la concentration maximale admissible canadienne. De leur point de vue, d’autres études s’avèrent nécessaires [Though the study is likely underpowered, these results suggest that drinking-water nitrate exposure may contribute to increased congenital risk of congenital anomalies at levels below the current Canadian maximum allowable concentration] [The observed increase in the incidence of congenital anomalies with drinking-water nitrate exposure greater than 1 mg NO3--N/l, which is just 10% of the Canadian maximum allowable concentration, is an intriguing finding and suggests that further investigation of the relationship between drinking-water nitrate and congenital anomalies at lower exposure levels is warranted].

Commentaire du blog

La conclusion des auteurs semble relever d’un a priori.

Si, à partir de ce travail, il était envisageable de faire quelque déduction, on devrait considérer que des concentrations en nitrate de l’’eau de boisson supérieures à 4.4 mg NO3- l-1, sans adjonction de folates dans la nourriture, tendent à protéger l’embryon et le fœtus du risque de d’anomalie congénitale majeure, la protection éventuellement assurée par les nitrates disparaissant en cas d’adjonction systématique de folates dans la nourriture.

Les auteurs n’ont pas souhaité formuler de tels propos.

En réalité, leur étude mérite de fortes réserves:

- Le seuil de ~ 4 mg NO3- l-1 dans l’eau de boisson sur lequel les auteurs attirent l’attention est des plus faibles. On rappellera que la concentration de nitrate dans des légumes comme la betterave, les épinards ou la salade est habituellement comprise entre 1000 et 3000 mg NO3- kg-1.

- Les sources en nitrate ne sont pas seulement exogènes. La synthèse endogène en nitrate par la voie de la NO synthase (ou de la L-arginine) est quantitativement proche de la source exogène. Cette synthase endogène en nitrate est fortement augmentée lors des activités physiques et sportives, ou lors des séjours en altitude.

Les auteurs ne prennent en considération ni les apports en nitrate provenant des légumes, ni la synthèse endogène en nitrate.

Si les nitrates de l’eau de boisson favorisaient l’apparition de malformations congénitales, ce qui, bien sûr, n’est pas le cas, il faudrait recommander à la population féminine d’éviter la consommation de légumes, la pratique du sport et le séjour en altitude, toutes recommandations contraires au bon sens.

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