Nitrate, nitrite, cancer gastrique et avis du CIRC

Bryan, N.S., Alexander, D.D., Coughlin, J.R., Milkowski, A.L. and Boffetta, P. (2012) Ingested nitrate and nitrite and stomach cancer: An updated review. Food and Chemical Toxicology 50, 3646-3665

(voir l'abstract ici)

Le Centre International de Recherche sur le Cancer [CIRC] (ou International Agency for Research on Cancer [IARC]) est une agence intergouvernementale de recherche sur le cancer, créée en 1965 par l'Organisation Mondiale de la Santé [OMS]. Ses bureaux sont situés à Lyon, en France.

En 2006, s’appuyant sur une revue de la littérature, l’agence classait les nitrates et les nitrites alimentaires, du moins sous certaines conditions de nitrosation endogène, parmi les substances «probablement carcinogènes chez l’homme» (groupe 2A). En 2010, quatre ans plus tard, elle publiait la monographie finale, rendant les données disponibles [In 2006, the International Agency for Research on Cancer’s (IARC) Monograph Working Group concluded that «Ingested nitrate or nitrite under conditions that result in endogenous nitrosation is probably carcinogenic to humans (Group 2A)». The final IARC Monograph of this review and classification was not published until 2010]. Voir la monographie ici.

Selon les auteurs américains [Houston, Chicago, Madison, New York], la classification du CIRC est basée sur les données du moment. Elle ne peut être considérée que comme transitoire. De ce fait, elle mérite d’être soumise à réévaluation dès que de nouvelles données sont disponibles, ou s’il vient à apparaître que des erreurs d’interprétation ont été commises [Any classification scheme, such as the one used by IARC, is based on the interpretation and evaluation of the evidence available at that time, and is therefore inherently temporary, and re-evaluations should be done when new evidence becomes available and when it appears that the reviewers may have misinterpreted certain published findings].

En fait, en 2006 (ou en 2010), lorsqu’il a pris en considération les études expérimentales réalisées chez l’animal, le Centre International de Recherche sur le Cancer [CIRC] n’a pas prêté à la plus ou moins bonne qualité des travaux mis à sa disposition toute l’attention qui aurait été souhaitable. Lorsque, à partir des études expérimentales, il a conclu que la «preuve de carcinogénicité» de l’ion nitrite NO2- était «suffisante», il a, par exemple, appuyé sa démonstration sur deux publications, celle de Lijinski et coll. (1983), celle de Lijinski (1984), dont la méthodologie était manifestement défectueuse. Dans l’une comme dans l’autre études, le nombre d’animaux était trop faible, le suivi (20 semaines) pas assez prolongé [Lack of consideration to the quality of available studies has sometimes led to erroneous carcinogenicity conclusions in the interpretation of the overall evidence for a specifical chemical […]. It is noteworthy that two of (the) rat studies (Lijinski, 1984; Lijinski et al., 1983) were heavily weighted by IARC in concluding that for nitrite there was “sufficient evidence of carcinogenicity” in animal studies. This is an example of inappropriate conclusions being drawn when the quality of the studies was not properly assessed.”]. 

Les auteurs américains passent ensuite en revue les études épidémiologiques consacrées, chez l’homme, aux liens susceptibles d’exister entre les apports en nitrate ou en nitrite et le cancer de l’estomac.

Pour diverses raisons, connues de longue date, les études de corrélation géographique souffrent d’imperfections. Elles peuvent, à la rigueur, servir à bâtir des hypothèses, non à établir des relations de cause à effet [Ecologic studies, if properly conducted and interpreted, may be useful to generate new hypotheses. However, they cannot provide the evidence needed for causal inference].

Les études cas-contrôles ne sont pas, non plus, à l’abri des critiques. Ainsi, souvent, les études montrent, pour le cancer de l’estomac, une corrélation inverse entre le cancer et les apports en nitrate et une corrélation positive entre le cancer et les apports en nitrite. La discordance entre nitrates et nitrites pourrait s’expliquer par des habitudes alimentaires conjointes si, par exemple, les sujets qui consomment des quantités importantes de nitrate ont tendance à bénéficier de régimes alimentaires bien équilibrés [nutritionally balanced diets] et si les sujets qui consomment des quantités importantes de nitrite ont, à l’inverse, tendance à recourir à des régimes alimentaires globalement défectueux [poor diets].

Les informations les plus fiables viennent, en définitive, des études de cohorte, moins affectées par les biais statistiques [The most informative epidemiologic results come from the cohort studies, which are less prone to bias in evaluating environmental and dietary factors than ecologic and case-control studies]. Les auteurs américains présentent, en détail, les 7 dernières études de cohorte publiées à ce sujet.

Il ressort de leur analyse que les résultats des études épidémiologiques prospectives, notamment ceux des études de cohorte publiées depuis 2006, n’orientent nullement vers une augmentation du risque de cancer de l’estomac en cas d’ingestion accrue de nitrate, de nitrite, et même de N-nitrosamines [The results of prospective epidemiologic studies, in particular those of cohort studies reported since 2006, do not consistently suggest an increased risk of stomach from ingested nitrate, nitrite or N-nitrosamines].

Il est possible que des études de faible valeur méthodologique laissent croire à une association positive entre ces types d’apport alimentaire et le risque de cancer gastrique. Mais lorsque les études sont scientifiquement rigoureuses, comme c’est le cas des études de cohorte, une telle orientation n’est absolument pas confirmée [Both in epidemiology and animal carcinogenicity, results of studies of low quality tended to support the hypothesis of a carcinogenic effect of nitrate or nitrite intake, while the results of better designed and conducted studies did not] [The fact that results of methodologically weaker studies appear to support an association, which is not confirmed in the most rigourous and informative studies (in particular those of cohort design) strongly points towards bias and confounding as explanations for the former and towards the conclusion of lack of a causal association for stomach cancer]

La conclusion des auteurs américains est nette et sans ambages: Les nouvelles études épidémiologiques prospectives et de cohorte indiquent qu’il n’existe, en réalité, aucune association véritable entre les apports alimentaires en nitrate et en nitrite et le risque de cancer gastrique. La position des autorités officielles mérite d’être reconsidérée [Newly published prospective epidemiological cohort studies indicate that there is no association between estimated intake of nitrate and nitrite in the diet and stomach cancer. This new and growing body of evidence calls for a reconsideration of nitrite and nitrate safety].

Commentaire du blog

On peut espérer que cet article de poids ne reste pas lettre morte. On regretterait que le CIRC et ses porte-parole se réfugient dans un silence prudent. Pour eux, la solution la plus sage serait, en effet, d’accepter la discussion, avant de reconsidérer leur position de 2006 (ou 2010), qui ne repose pas sur des bases scientifiques correctes.

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