Nitrates et cancer de la thyroïde

Ward, M.H., Kilfoy, B.A., Weyer, P.J., Anderson, K.E., Folsom, A.R. and Cerhan, J.R. (2010) Nitrate intake and the risk of thyroid cancer and thyroid disease. Epidemiology 21, 389-395.

(voir l'abstract ici)

La rubrique du 12 janvier 2010 rappelait que l’ion nitrate NO3- inhibe de manière compétitive l’action de la protéine qui assure le transport couplé des ions sodium et iodure dans la glande thyroïde: le «symporteur sodium-iodure» ou NIS (sodium/iodine symporter); avec Pearce et Braverman (2009), elle faisait néanmoins observer que, constatée à des doses pharmacologiques, cette inhibition restait encore à vérifier aux niveaux d’exposition physiologiques.

Depuis 1980, l’incidence du cancer de la thyroïde a tendance à augmenter aux Etats-Unis. Beaucoup pensent qu’une telle augmentation de fréquence n’est que la simple traduction d’une meilleure détection diagnostique. D’autres, comme les auteurs de l’article ici présenté, n’excluent pas l’intervention de facteurs environnementaux.

Pour vérification, ils présentent une étude épidémiologique effectuée chez un nombre important de femmes américaines. Par un questionnaire voisin de celui d’une rubrique précédente (21 avril 2010), et envoyé par voie postale en 1986, ils évaluent les apports alimentaires en nitrates de 41 836 femmes. Trois ans plus tard, en 1989, à l’aide d’un questionnaire complémentaire, ils évaluent les apports en nitrates provenant de l’eau de boisson chez 21 977 (soit 53 %) d’entre elles.

Entre 1986 et 2004, 40 femmes appartenant à cette population développent un cancer de la thyroïde. De même, pendant ce laps de temps, 3151 et 1009 cas d’hypothyroïdisme et d’hyperthyroïdisme sont, respectivement, répertoriés.

La confrontation des données permet quelques constatations:

- Par comparaison avec des teneurs inférieures, le risque de cancer thyroïdien est augmenté lorsque le taux de nitrates dans l’eau d’adduction publique est supérieur à 10,9 mg NO3- l-1 (P = 0.02), ou lorsque la teneur en nitrates de l’eau d’adduction publique dépasse 22,15 mg NO3- l-1 pendant plus de cinq ans (P = 0.040).

- Par comparaison avec des apports moindres, les risques de cancer thyroïdien et d’hypothyroïdisme sont augmentés (indépendamment l’un de l’autre) lorsque les apports alimentaires quotidiens en nitrates NO3- excèdent 182 mg (P respectifs = 0.046 et 0.001).

Conscients des limites de leur travail, les auteurs citent par exemple:

- le faible nombre (40) de cancers de la thyroïde inclus dans l’étude,

- des critères diagnostiques d’hyperthyroïdisme ou d’hypothyroïdisme assez rudimentaires [Our analysis of thyroid conditions was limited to self-reported medication use for these prevalent conditions].

- un calcul des apports en nitrates par les eaux de boisson prenant exclusivement en compte les eaux d’approvisionnement du lieu de résidence en 1989.

Selon eux, d’autres études sont souhaitables, avec un nombre plus important de cas de cancer thyroïdien, et avec des critères diagnostiques d’hyper- ou d’hypothyroïdie plus élaborés.

Commentaire du blog

Nous proposons trois remarques:

- Qu’elles procèdent par voie postale ou par téléphone (Cf. rubrique du 21 avril 2010), les investigations rétrospectives par questionnaire n’ont sans doute pas la fiabilité désirable.

- Dans l’enquête présentée par les auteurs, les teneurs en nitrates des eaux de boisson sont faibles ou modérées. Parmi les 28 patientes qui consomment une eau d’adduction publique et développent un cancer de la thyroïde, 15 d’entre elles (soit 54%) consomment, en fait, une eau d’adduction publique dont le taux de nitrates NO3- est inférieur à 10,9 mg NO3- l-1, se situant donc bien au-dessous de la concentration maximale réglementaire: 45 mg NO3- l-1 depuis 1962 aux Etats-Unis, 50 mg NO3- l-1 depuis 1980 en Europe.

- La faille principale de ce genre d’études est d’omettre de prendre en considération la synthèse endogène en nitrates, tout à la fois continue, importante et variable dans le temps en fonction des activités. Comme nous le savons, une nette augmentation de la synthèse endogène en nitrates accompagne les séjours en altitude et les activités physiques ou sportives. La synthèse endogène en nitrates vient s’ajouter en permanence aux apports exogènes (Cf. rubriques du 30 octobre, du 4 novembre, du 21 novembre,  du 4 décembre 2009 et du 21 avril 2010).

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