Nitrate, nitrite et cancer de la thyroïde

Aschebrook-Kilfoy, B., Shu, X.-O., Gao, Y.-T., Ji, B.-T., Yang, G., Li, H.L., Rothman, N., Chow, W.-H., Zheng, W. and Ward, M.H. (2013) Thyroid cancer risk and dietary nitrate and nitrite intake in the Shanghai Women’s Health Study. International Journal of Cancer 132, 897-904

(voir l'abstract ici)

Comme la page «Rubriques par thèmes» de ce blog le mentionne, deux articles consacrés aux liens éventuels entre les nitrates et le cancer de la thyroïde ont déjà été, ici, présentés. Ils émanent d’une même équipe américaine. Le premier fait porter son étude sur une population américaine exclusivement féminine (41.836 femmes) [rubrique du 21 mai 2010], le second sur une population américaine à la fois masculine et féminine (490.194 sujets âgés de 50 à 71 ans) [rubrique du 5 novembre 2010]. L’un et l’autre évaluent les apports en nitrate à l’aide d’un questionnaire rétrospectif. Les failles méthodologiques sont nombreuses, la valeur scientifique assez discutable.

En coopération avec deux épidémiologistes de Shanghai [République Populaire de Chine], la même équipe [National Cancer Institute, Bethesda, Maryland, USA] présente une troisième étude sur le sujet nitrate/nitrite – cancer de la thyroïde.

La population étudiée est chinoise. Elle est faite de 73.317 femmes, âgées de 40 à 70 ans. Les apports quotidiens en nitrate NO3- et en nitrite NO2- sont estimés à l’aide d’un questionnaire rétrospectif. Les 11 ans de suivi recensent 164 cancers de la thyroïde.

Les apports quotidiens moyens en nitrate NO3- sont estimés à 309 mg NO3-.

Les apports quotidiens moyens en nitrite NO2- sont estimés à 1.4 mg NO2-.

Les apports quotidiens moyens en nitrite NO2- provenant des viandes salées et fumées sont estimés à 16.8 μg NO2-, soit à 1.2% du total des apports en nitrite

[The median dietary nitrate intake was 309 mg/day and the median daily nitrite intake was 1.4 mg/day. […] Salted preserved meat and smoked meat/bacon (e.g., all processed meats) contributed approximatively 1.2% of total nitrite intake].

Dans cette étude de cohorte importante, les auteurs n’observent aucune association statistique entre les apports quotidiens en nitrate NO3- et l’incidence du cancer de la thyroïde [In this large prospective cohort study of women in Shanghai, we did not observe an association between dietary nitrate intake and thyroid cancer as hypothesized].

Par contre, selon eux, en matière d’apport alimentaire en nitrite NO2-, les femmes qui se trouvent dans le quartile supérieur, ont, par rapport à celles qui se trouvent dans le quartile inférieur, un risque deux fois plus important de voir apparaître un cancer de la thyroïde, l’augmentation du risque n’atteignant cependant pas le seuil de significativité statistique L’augmentation devient significative, par contre, si l’on ne considère que les apports en nitrite provenant des viandes salées ou fumées [Women in the highest compared to the lowest quartile of nitrite intake had a significant increased risk of thyroid cancer in the fully adjusted model, although the trend was not significant. The increase in risk appeared to be primarily to animal sources of nitrite, particularly nitrite from processed meats, and the trend was significant].

Dans leur conclusion, les auteurs envisagent une possibilité: celle selon laquelle, du moins chez la femme, de forts apports en nitrite NO2- d’origine animale accentueraient le risque de cancer thyroïdien [Although we did not observe an association for nitrate as hypothesized, our results suggest that women consuming higher levels of nitrite from animal sources, particularly from processed meat, may have an increased risk of thyroid cancer].

Commentaire du blog

La valeur scientifique de ce travail ne parait pas supérieure à celle des précédents:

1) Les investigations rétrospectives par questionnaire n’ont sans doute pas la fiabilité désirable.

2) L’étude omet de prendre en considération la synthèse endogène des nitrates et des nitrites par la voie de la L-arginine-NO synthase. Variable d’un sujet à l’autre, cette synthèse endogène est connue pour être augmentée lors des activités physiques et des séjours en altitude [Erreur n° 7c – rubrique du 27 juillet 2010]

A supposer, ce qui reste à démontrer, que les données chiffrées fournies par les auteurs aient l’exactitude voulue, leur conclusion suscite des réserves:

Chez les femmes participant à l’étude, les apports quotidiens en nitrite NO2- sont estimés, en moyenne, à 1.4 mg NO2-. Chez elles, les apports quotidiens en nitrite NO2- provenant des viandes salées et fumées sont estimés, en moyenne, à 16.8 μg NO2-.

Chez elles, les apports quotidiens en nitrate NO3- sont estimés, en moyenne, à 309 mg NO3-. Ces nitrates alimentaires sont soumis à un cycle entérosalivaire qui les fait passer d’abord dans le  plasma, puis dans la salive où ils sont partiellement transformés en nitrite NO2- salivaire. A la suite de cette sécrétion salivaire et de la réduction bactérienne qui s’ensuit, 5% en moyenne (entre 1.5 et plus de 30%) des nitrates alimentaires se retrouvent dans la salive sous forme de nitrite NO2- salivaire. Les 309 mg de nitrate NO3- ingérés, en moyenne, par les femmes participant à l’étude donnent lieu, en moyenne, à la production de 15 mg (entre 4 et 92 mg) de NO2- salivaire.

On voit mal comment les nitrites NO2- ingérés à partir des viandes salées et fumées, en quantité mille fois plus faible, pourraient avoir l’influence qu’envisagent les auteurs.

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