Nitrate et toxicité cardiovasculaire du tabac

Bailey, S.J., Blackwell, J.R., Wylie, L.J., Holland, T., Winyard, P.G. and Jones, A.M. (2016) Improvement in blood pressure after short-term inorganic nitrate supplementation is attenuated in cigarette smokers compared to non-smoking controls. Nitric Oxide 61, 29-37

(voir l'abstract ici)

On sait que, chez l’adulte sain, la supplémentation alimentaire en nitrate NO3- exerce des effets favorables sur la santé cardiovasculaire.

La fumée de cigarette est connue pour accroître les taux circulants de thiocyanate SCN-. Or l’ion thiocyanate SCN- exerce, semble-t-il, une action inhibitrice, de nature compétitive, sur la sécrétion active des nitrates dans la salive [Dietary supplementation with inorganic nitrate (NO3-) has been reported to improve cardiovascular health indices in healthy adults. Cigarette smoking increases circulating thiocyanate (SCN-), which has been suggested to competitively inhibit salivary nitrate (NO3-) uptake, a rate-limiting step in dietary NO3- metabolism].

Les auteurs britanniques [Université d’Exeter] cherchent à savoir si l’effet bénéfique cardiovasculaire des nitrates se vérifie de la même manière chez le non-fumeur et chez le fumeur.

Leur étude en cross over porte sur

- 8 sujets en bonne santé, non-fumeurs

- et 9 sujets en bonne santé, fumeurs.

Pendant 6 jours consécutifs, les sujets ingèrent:

- soit 140 ml d’un jus de betterave déplété en nitrate, qui n’apporte que 3 mg NO3- j-1 [groupe PLA],

- soit 140 ml d’un jus de betterave riche en nitrate, qui apporte 520 mg NO3- j-1 [groupe NIT].

Le 6ème jour, diverses mesures sont effectuées avant l’ingestion des 140 ml de jus de betterave, puis 2 heures après.

Les teneurs plasmatiques et salivaires de thiocyanate [SCN-] sont significativement plus élevées chez le fumeur que chez le non-fumeur [Plasma and salivary [SCN-] were elevated in smokers compared to non-smokers in all experimental conditions (P < 0.05)].

Comme prévu, chez le fumeur comme chez le non-fumeur, deux heures après l’ingestion des 140 ml de jus de betterave, les teneurs plasmatiques et salivaires en nitrate NO3- et en nitrite NO2- sont plus élevées dans le groupe NIT que dans le groupe PLA. Et dans le groupe NIT, elles sont plus élevées 2 heures après l’ingestion de 520 mg de nitrate NO3- que juste avant cette ingestion [Plasma and salivary [NO3-] and [NO2-] were elevated in the NIT condition compared to baseline CON and PLA conditions in smokers and non-smokers (P < 0.05)].

Par contre, si l’on considère, non pas les teneurs elles-mêmes, mais les augmentations de ces teneurs plasmatiques et salivaires en nitrate NO3- et en nitrite NO2- entre le moment précédant l’ingestion de 520 mg de nitrate (valeur de base ou valeur contrôle CON) et les 2 heures qui la suivent, on fait les constatations suivantes:

- certes, les modifications des concentrations salivaires en nitrite NO2- entre T0 et T2 heures ne sont pas significativement différentes entre fumeurs et non-fumeurs,

- par contre, les élévations des concentrations salivaires et plasmatiques en nitrate NO3- et les élévations des concentrations plasmatiques en nitrite NO2- entre t0 et t2heures sont moins marquées chez le fumeur que chez le non-fumeur.

[Salivary [NO2-] increased above baseline CON to a similar extent with NIT in smokers and non-smokers (P < 0.05) […] The change in salivary [NO3-] (fumeurs: 3.5 ± 2.1 vs. non-fumeurs: 7.5 ± 4.4 mM), plasma [NO3-] (fumeurs: 484 ± 198 vs. non-fumeurs: 802 ± 199 µM) and plasma [NO2-] (fumeurs: 218 ± 128 vs. non-fumeurs: 559 ±419 nM) between the baseline CON and NIT conditions was lower in the smokers compared to the non-smokers (P < 0.05).

De même, si l’on considère la tension artérielle systolique des sujets avant puis 2 heures après l’ingestion de 3 mg de nitrate [groupe PLA] et leur tension artérielle systolique avant et 2 heures après l’ingestion de 520 mg de nitrate [groupe NIT], on fait les constatations suivantes:

- chez le sujet non-fumeur, la tension artérielle systolique vérifiée 2 heures après l’ingestion de 520 mg de nitrate est, en moyenne, significativement moins élevée que 2 heures après l’ingestion de 3 mg de nitrate: respectivement et en moyenne, 100 et 103 mm Hg (P < 0.05).

- par contre, chez le sujet fumeur, les tensions artérielles systoliques vérifiées 2 heures après l’ingestion de 520 mg de nitrate et 2 heures après l’ingestion de 3 mg de nitrate sont sensiblement identiques: respectivement et en moyenne, 110 et 109 mm Hg.

[Systolic blood pressure was lowered compared to PLA with NIT in non-smokers (P < 0.05), but not smokers].

Le tableau ci-dessous récapitule les moyennes enregistrées.

 

FUMEURS

NON FUMEURS

P entre fumeurs et non-fumeurs

Teneur plasmatique en thiocyanate [SCN-] (µM)

40

18

P < 0.05

Teneur salivaire en thiocyanate [SCN-] (µM)

2500

1300

P < 0.05

↑ des teneurs plasmatiques en nitrate NO3- entre J0 et J6 NIT (mg l-1)

30

50

P < 0.05

↑ des teneurs salivaires en nitrate NO3- entre J0 et J6 NIT (mg l-1)

217

465

P < 0.05

↑ des teneurs plasmatiques en nitrite NO2- entre J0 et J6 NIT (µg l-1)

10

26

P < 0.05

↑ des teneurs salivaires en nitrite NO2- entre J0 et J6 NIT (µg l-1)

69

67

NS

Tension artérielle systolique après PLA (mm Hg)

109

103

 

Tension artérielle systolique après NIT (mm Hg)

110

100

 

Ainsi, par rapport au non-fumeur, les concentrations plasmatiques et salivaires en nitrate NO3- ainsi que les concentrations plasmatiques en nitrite NO2- sont diminuées d’environ 50 % chez le fumeur de cigarettes, après ingestion d’une même dose de nitrate. De ce fait, chez le fumeur, la supplémentation en nitrate n’est pas suivie de l’effet hypotensif que l’on observe chez le non-fumeur.

Il s’agit là d’un nouvel et important élément physiopathologique. Il concourt à expliquer pourquoi et comment la fumée de cigarette augmente la morbidité et la mortalité cardiovasculaires [These observations might provide important novel insights into the mechanisms by which cigarette smoking prediposes to increased cardiovascular disease morbidity and mortality].

Commentaire du blog

Les explications physiopathologiques fournies jusqu’à présent par la littérature pour rendre compte de la toxicité cardiovasculaire du tabac sont les suivantes:

- augmentation de l’agrégation plaquettaire, du taux de fibrinogène et de la viscosité sanguine, d’où accroissement de la thrombogénicité,

- altération de la vasomotricité artérielle endothélium-dépendante, d’où possibilité de spasmes coronariens

- baisse du HDL cholestérol, augmentation des leucocytes circulants, élévation de la C Réactive Protéine (CRP), de l’interleukine 6, du TNF alpha et autres cytokines pro-inflammatoires

- potentialisation de l’automatisme cellulaire cardiaque, d’où abaissement du seuil de fibrillation ventriculaire.

En définitive, la nouvelle explication des auteurs britanniques fait intervenir la biodisponibilité en oxyde nitrique NO,  par suite d’un effet de l’ion thiocyanate SCN- sur la sécrétion salivaire des nitrates. Si elle est confirmée, elle pourrait rajeunir, voire bouleverser, les données pathogéniques existantes.

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