Nitrates alimentaires et adénocarcinome œsophagien

Iijima, K. and Shimosegawa, T. (2014) Involvement of luminal nitric oxide in the pathogenesis of the gastroesophageal reflux disease spectrum. Journal of Gastroenterology and Hepatology 29, 898-905

(voir l'abstract ici)

Les auteurs japonais [Service de gastro-entérologie, Université du Tohoku, Sendai] partent d’un double constat:

- Au cours des trois dernières décennies, spécialement dans les pays occidentaux, l’incidence de l’adénocarcinome œsophagien a fortement progressé [Since the 1980s, numerous studies have shown that the incidence of esophageal adenocarcinoma has been increasing rapidly in many western countries]

- Parallèlement, la consommation mondiale d’engrais azotés a été multipliée par 20 [In terms of a mass survey, a 20-fold increase in use of chemical nitrogenous fertilizers…].

Sans remettre en cause les facteurs étiologiques classiques de l’adénocarcinome œsophagien, le tabac, l’alcool et le reflux gastro-œsophagien, [… in addition to conventionally recognized causative factors], les auteurs se demandent si les nitrates alimentaires ne pourraient pas également jouer, à son égard, un rôle favorisant, facilitant la survenue intermédiaire d’une œsophagite érosive puis d’un œsophage de Barrett [In this review, we have outlined the influence of nitric oxide NO, particularly NO derived exogenously from dietary nitrate, on each stage of the gastroesophageal reflux disease [GERD]-related disease spectrum].

A l’appui de leur hypothèse, ils avancent une série d’arguments:

1) A l’occasion de la circulation entérosalivaire des nitrates, la très riche flore bactérienne située à la face dorsale de la langue transforme les nitrates salivaires en nitrites salivaires. Déglutis, les nitrites salivaires rencontrent le site gastrique acide. En présence de vitamine C, ceux-ci sont alors très rapidement transformés en oxyde nitrique NO. La concentration intraluminale d’oxyde nitrique NO est maximale en regard du cardia et de la jonction gastro-œsophagienne. En cas de reflux gastro-œsophagien, le site préférentiel de formation d’oxyde nitrique NO peut alors s’étendre jusqu’à la partie distale de l’œsophage [Since this reaction between nitrite and ascorbic acid is very rapid at an acidic pH, the intraluminal concentration of NO generated by the reaction is maximal at the gastroesophageal junction and cardia, where the nitrite in saliva first encounters gastric acid […]. Furthermore, because NO is generated at the site where saliva nitrite first encounters gastric acid, the site of luminal NO generation could shift to the distal esophagus in cases with gastroesophageal reflux].

2) Comme l’ont montré plusieurs de leurs travaux [Cf. en particulier la rubrique du 9 mars 2010], l’oxyde nitrique NO diffuse alors vers l’épithélium adjacent à des taux cytotoxiques. Agissant en synergie avec le reflux d’acide et de pepsine, il altère la fonction de barrière épithéliale. Parvenant dans le tissu sous-épithélial, réagissant avec un autre radical, le radical superoxyde O2-, il forme un oxydant puissant, l’ion peroxynitrite ONOO-. S’ensuivent une exacerbation de l’inflammation tissulaire, une accélération de la transformation colonnaire de l’œsophage [propre à l’œsophage de Barrett] et une formation locale de dérivés N-nitrosés [Since then, we have carried out a series of experiments to demonstrate that NO diffuses into the adjacent epithelium at cytotoxic levels. This diffusion results in disruption of the epithelial barrier function, exacerbation of inflammation, acceleration of columnar transformation in the esophagus (Barrett’s esophagus) […] and the shifting of carcinogenic N-nitroso compound formation from the luminal to epithelial compartment].

Commentaire du blog

La démonstration par les auteurs du rôle, chez le rat, de l’oxyde nitrique NO dans la transformation colonnaire de l’œsophage suscite des réserves [rubrique du 9 mars 2010].

Chez l’animal, les N-nitrosamines ne deviennent réactifs, endommagent l’ADN et créent des mutations qu’à forte dose et qu’après une activation métabolique, qui nécessite un passage hépatique. La présence accrue de composés N-nitrosés, dits carcinogènes, dans le tissu œsophagien lui-même ne constitue pas un argument.

Surtout, comme le signalent les auteurs [Thus far, epidemiological studies have not shown an association of nitrate intake with esophageal adenocarcinoma], les études épidémiologiques jusqu’ici à la disposition du monde scientifique n’ont pas montré de lien chez l'homme entre les apports alimentaires en nitrate NO3- et l’incidence de l’adénocarcinome œsophagien [rubriques du 05 12 2010 et du 17 03 2013]. Cette négativité épidémiologique suffit à elle seule à rendre discutable l’hypothèse envisagée.

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