18 mg/l, S. Royal et D. Schindler

Schindler, D. (2015) Contrôler l’azote est inefficace contre l’eutrophisation. La France Agricole 3582-3583, p.16

Un arrêté français, daté du 5 mars 2015 et signé de Mme Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, se propose de préciser les «critères et méthodes d'évaluation de la teneur en nitrates des eaux et de caractérisation de l'enrichissement de l'eau en composés azotés susceptibles de provoquer une eutrophisation et les modalités de désignation et de délimitation des zones vulnérables définies aux articles R. 211-75, R. 211-76 et R. 211-77 du code de l'environnement» [voir ici].

Le troisième article de l’arrêté du 5 mars 2015 stipule: «Les masses d'eau superficielles dont la teneur en nitrates dépasse 18 mg/l en percentile 90 sont considérées comme subissant ou susceptibles de subir une eutrophisation des eaux douces superficielles ; elles contribuent aussi à l'eutrophisation ou à la menace d'eutrophisation des eaux des estuaires, des eaux côtières et marines».

Professeur émérite d’écologie à l’Université d’Alberta [Canada occidental], David Schindler est connu pour les recherches grandeur nature sur une série de lacs canadiens qu’il a conduites durant plusieurs décennies, avec l’intention de mesurer les impacts respectifs de l’azote et du phosphore sur la prolifération algale.

Maintenant célèbre, son expérience prolongée sur le lac 227, au Nord-Ouest de l’Ontario [Canada], a duré 37 ans, de 1969 à 2005. Elle a été rapportée dans la rubrique du 15 décembre 2009 du blog «Nitrates et santé – Le blog des nitrates» [voir l’abstract et le texte entier ici]. Son point de vue est également exprimé dans deux correspondances aux Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA en 2008 et 2009 [Cf. rubrique du 7 septembre 2011].

Dans une interview accordée à Ph. Pavard, rédacteur en chef de La France Agricole [numéro 3582-3583 de l’hebdomadaire (p. 16)], il fait à nouveau part de l’état actuel des connaissances en la matière [voir le texte de l'interview ici].  

▪ Dans la zone expérimentale ELA [Experimental Lakes Area], au Canada:

1) l’adjonction d’azote n’a jamais augmenté l’eutrophisation.

2) l’adjonction de phosphore a, au contraire, toujours augmenté l’eutrophisation.

3) la réduction d’azote seule, sans contrôle concomitant du phosphore, ne réduit pas l’eutrophisation. Au contraire, elle l’augmente. La décroissance du rapport N/P favorise la multiplication des cyanobactéries qui peuvent capter l’azote de l’air, et ce aux dépens des autres espèces.

4) la réduction du phosphore diminue toujours l’eutrophisation, en proportion de la concentration de l’eau en phosphore.

Ces expériences dans la zone expérimentale ELA ont été faites grandeur nature, sur une durée, selon les cas, de 4 à 47 ans. Elles ont totalisé l’équivalent de 79 ans d’ajouts d’éléments nutritifs, avec surveillance. L’auteur canadien insiste sur l’importance de telles études d’écosystèmes entiers sur le long terme, alors qu’on sait que les tenants du contrôle de l’azote, sur lesquels continuent de s’appuyer les décisions officielles, n’ont à leur actif que des tests de quelques heures à quelques semaines, effectués sur de petits contenants.

▪ Pour les estuaires et les embouchures, en eau salée, D. Schindler tient des propos similaires:

     – Aucune preuve scientifique n’a jamais permis d’affirmer qu’en estuaire la réduction de l’azote diminue l’eutrophisation. L’auteur a eu l’occasion d'insister sur ce fait en 2012 dans les actes de la British Royal Society.  

     – En revanche, on connaît un cas significatif en estuaire, celui de l’archipel de Stockholm, où la seule réduction des apports en phosphore a permis une importante diminution de la production algale.

▪ Enfin, le critère de 18 mg NO3- l-1 pour les eaux de surface, qu’a décidé la ministre française de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, Mme Ségolène Royal, apparaît comme une pure invention administrative. Eu égard au phénomène d’eutrophisation, il n’a aucune justification scientifique.

Commentaire du blog

- En 1980, le Conseil des Communautés européennes rend publique une directive «relative à la qualité des eaux destinée à la consommation humaine». Sans explication, la directive édicte, pour ces eaux, une concentration maximale admissible pour les nitrates, et la fixe à 50 mg NO3- l-1.

- En 1991, le Conseil des Communautés européennes rend publique une directive «relative à la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d’origine agricole». Sans explication, cette nouvelle directive édicte une concentration maximale admissible pour les nitrates dans les eaux souterraines et les eaux douces superficielles, et la fixe également à 50 mg NO3- l-1.

- En 2015, sans explication, l’arrêté de Mme Ségolène Royal abaisse la limite maximale admissible en nitrates des eaux douces superficielles, et la fait passer de 50 à 18 mg NO3- l-1.

La situation est kafkaïenne. Aucune des trois concentrations maximales admissibles en nitrate NO3- fixées par les autorités administratives, qu’il s’agisse des eaux destinées à la consommation humaine ou des eaux douces superficielles, n’a la moindre base scientifique.

- A de nombreuses reprises, le blog «Nitrates et santé – Le blog des nitrates» a eu l’occasion d’insister sur l’absence de valeur scientifique de la norme de 50 mg NO3- l-1 dans l’eau de boisson [Cf. RUBRIQUES PAR THEMES].

- On a pu constater avec étonnement que la norme de 50 mg NO3- l-1 dans les eaux souterraines et les eaux douces superficielles n’a nullement été décidée en fonction de données environnementales. Les autorités administratives se sont seulement contentées de procéder, à partir de la norme pour l’eau de boisson, à un simple copier-coller.

- Le comble est atteint par l’arrêté français du 5 mars 2015. Jusqu’où l’administration s'enfoncera-t-elle dans l’erreur?

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