N°500. LE MOT NITRATE: UNE ETYMOLOGIE MAGNIFIQUE

L’étymologie du mot «nitrate» est la plus ancienne qui soit.

1) NETER

Tout commence il y a plus de 5000 ans avec le mot «NETER», un des mots les plus nobles de la langue de l’Egypte ancienne, un mot qui signifie «dieu».

On sait qu’à l’instar de l’hébreu avant l’invention massorétique des points-voyelles, l’écriture hiéroglyphique ne notait pas les voyelles de la langue égyptienne. Le mot «NETER» s’écrivait

- à l’aide de trois consonnes N, T et R, sous forme de phonogrammes, ou «signes-sons». La prononciation devait être «nétèr» (ou bien «nétchèr»),

- ou à l’aide d’un idéogramme ou «signe-mot», avec la même prononciation. L'idéogramme de NETER était une étoffe flottant au vent, au sommet d’une hampe.

Dans l’ancienne Egypte, on sait que des mâts étaient plaqués contre la façade des temples. Leur taille pouvait être impressionnante. Dans la cour bubastide de la XXIIe dynastie (950-730), les huit mâts appliqués contre le deuxième pylône du grand temple d’Amon de Karnak se dressaient à plus de quarante mètres de hauteur. Ils étaient l'expression du NETER. De loin, les Egyptiens apercevaient les oriflammes du divin, flottant au vent.

Au féminin, «déesse» se dit NETERET (ou «nétchéret»); au pluriel, «dieux» se dit NETEROU. (ou «nétchérou»). Adjectif nisbé, l’adjectif «divin» se dit respectivement au masculin et féminin singuliers NETERI et NETERIT (ou «nétchéri» et «nétchérit»).

En grec, le mot hiéroglyphe veut dire «gravure sacrée» (de ιερος, sacré, et γλυφη, ouvrage ciselé ou gravé). Pour les Egyptiens de l’Antiquité, l’écriture était, en effet, un legs du dieu Thot. Ils la nommaient MEDOU NETER (également prononcé: «médou-nétchèr»), autrement dit: «bâton de dieu», ou plus vraisemblablement «parole de dieu».

Le séjour des morts se dit KHERET NETER («CHéret nétchèr»), autrement dit le «dessous du dieu». Dans l’esprit des Egyptiens, chaque nuit, le soleil venait, en effet, visiter le monde du silence pour lui insuffler l’énergie de la résurrection.

De même, les expressions très courantes:

- HEM NETER, («Hém nétchèr») c’est-à-dire «serviteur de dieu»,

- ou NEFER NETER («néfèr nétchèr»), c’est-à-dire «dieu parfait»,

faisaient partie des multiples épithètes royales. Elles s’appliquaient, en priorité, au pharaon lui-même.

2) Le natron

Pour désigner le produit composé de divers sels qui servait à la fois au nettoyage du corps et à la conservation du cadavre lors de la momification, les Egyptiens de l’Antiquité utilisaient presque le même mot, le mot «NETERI» («nétchéri»), qui se rendait par les trois mêmes consonnes hiéroglyphiques NTR. Les prêtres s’en servaient, par exemple, pour se purifier la bouche avant le service. Les embaumeurs l’utilisaient sous forme liquide; ils plongeaient le cadavre dans un bain de natron «NETERI» («nétchéri»), pour le déshydrater. Lors du rituel d’embaumement, on pensait que le natron transformait véritablement le défunt, le rendant «NETERI» («nétchéri»), c’est-à-dire divin.

Employé pour désigner ce mélange de sels, le mot égyptien «NETERI» («nétchéri») s’est ensuite répandu, presque à l’identique, dans les langues anciennes tout alentour:

- En hébreu biblique, on le trouve, à peine modifié. Il se dit נָתֶר, c’est-à-dire «neter». Il est présent dans deux passages de l’Ancien Testament: Jérémie 2, 22 et Proverbes 25, 20 [Cf. rubrique du 19 novembre 2010].

- En assyrien, il se dit «nitiru» ou «nitru», en syriaque «netrâh», en grec, λιτρον ou νιτρον, c’est-à-dire «litron» ou «nitron», en latin, «nitrum».

- Dérivé du latin, le mot français «nitre» apparaît plus tard, au XIIIe siècle.

3) L’appellation des noms chimiques à partir du XVIIIe siècle

C’est, bien sûr, bien plus tard, aux dix-huitième et dix-neuvième siècles, que les appellations des produits chimiques ont été fixées en Europe.

Ainsi, le sodium a été découvert dans la soude, appelée «natron» par les Allemands. L’ayant découvert les premiers, les Allemands nommèrent le sodium «natrium», lui choisissant le symbole Na. Les Français et les Anglais finirent par accepter le symbole Na, mais tinrent absolument à l’appellation «sodium». [D’où, en France par exemple, la discordance entre le mot «sodium» et le symbole Na].

Le natron de l’Antiquité est, en réalité, un mélange naturel de sels formé dans des conditions climatiques et géologiques particulières. Il est principalement constitué de carbonate et de bicarbonate de sodium [Na2CO3 et NaHCO3], de sulfate de sodium [Na2SO4] et de chlorure de sodium [NaCl]. Apparemment, il ne contient jamais ni nitrate ni nitrite.

Pourtant, les noms «nitrate» et «nitrite» ainsi que l’adjectif «nitrique» (présent, par exemple, dans «oxyde nitrique») dérivent tous du mot «nitre», présent dans la langue française depuis le XIIIe siècle. Les trois mots «nitrate», «nitrite» et «nitrique» apparaissent respectivement dans la langue française en 1787, 1803 et 1787.

▪ Ainsi le chemin entre «NETER» et «nitrate» se mesure en milliers d’années.

Rares sont les mots actuels de la langue française qui proviennent de mots employés par les Egyptiens de l’Antiquité il y a 2 à 5000 ans. On trouve des noms communs, tels «ébène», «ivoire», «oasis», «pharaon», «phénix», «pschent» et des noms propres, tels «Egypte», «Fayoum», «Lybie», «Moïse» et «Nubie».

A vrai dire, comme on le voit dans le tableau suivant, ces mots qui nous viennent de l’Egypte antique ne sont pas propres au français. On les retrouve également dans d’autres langues européennes, notamment l’anglais, l’allemand, l’italien, l’espagnol, le portugais, le néerlandais et le roumain.

Français

Anglais

Allemand

Italien

Espagnol

Portugais

Néerlandais

Roumain

nitrate

nitrate

nitrat

nitrato

nitrato

nitrato

nitraat

azotat

nitrite

nitrite

nitrit

nitriti

nitritos

nitritos

nitrieten

nitriti

ébène

ebony

ebenholz

ebano

ébano

ebano

ebbahout

abanos

ivoire

ivory

elfenbeins

avorio

marfil

marfim

ivoor

fildes

oasis

oasis

oase

oasi

oasi

oasis

oase

oaza

pharaon

pharaoh

pharao

faraone

faraon

farao

farao

faraon

phénix

phoenix

phoenix

fenice

fénix

phenix

phenix

fenix

Egypte

Egypt

Âgypten

Egitto

Egipto

Egito

Egypte

Egipt

Moïse

Moses

Mose

Mosè

Moisès

Moisès

Mozes

Moise

Les mots «nitrate», «nitrite» et «nitrique» ne sont pas les seuls termes de la langue française provenant de l’égyptien antique. Mais il n’est pas interdit de penser qu’ils occupent une place particulière. Quand on sait combien le peuple était religieux, combien l’amour du divin travaillait l’âme de chaque Egyptien, combien, tous, ils attachaient d’importance à l’écriture, qu’ils nommaient MEDOU NETER (la parole de dieu), pouvait-il exister, dans leur vocabulaire et à leurs yeux, de mot plus vénérable que celui de NETER ?

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