Nitrate et nitrite dans la viande – Péripéties, controverses

Sindelar, J.J. and Milkowski, A.L. (2012) Human safety controversies surrounding nitrate and nitrite in the diet. Nitric Oxide 26, 259-266

(voir l'abstract ici)

Les circonstances ayant jadis permis la découverte du mécanisme de la salaison des viandes restent mal connues. On suppose qu’un jour, une contamination accidentelle du sel par du salpêtre, du nitrate de potassium, donna lieu à une coloration rouge et stable de la viande. A partir du dixième siècle, au temps dit de la féodalité, on commença à ajouter intentionnellement du salpêtre à la viande pour en améliorer et la couleur et la saveur [The exact historical origin of meat curing is unknown but is believed to have been discovered by accident. The history of meat processing refers to several accounts of the contamination of salt with saltpeter (potassium nitrate) resulting in a stable red color in the meat. It is unclear whether the saltpeter-cured characteristics were deemed desirable before the 10th century, but during and after the 10th century, the Romans were intentionally adding saltpeter to meat to obtain the desired red color and distinctive flavor].

Selon des travaux de l’USDA [United States Department of Agriculture] présentés en 1920, il convient d’ajouter entre un quart d’once et une once entière de nitrite de sodium [NaNO2] à 100 livres de viande pour pouvoir en fixer la couleur. Autrement dit, pour obtenir le résultat voulu, ce sont de 100 à 400 mg d’ions nitrite [NO2-] qu’il convient d’ajouter à chaque kilo de viande.

Aujourd’hui, pour les nitrates et les nitrites que l’on ajoute à la viande, l’USDA fixe des quantités maximales. Dans la viande saumurée par immersion par exemple, les quantités maximales autorisées aux Etats-Unis sont

- de 700 mg kg-1 pour le nitrate de sodium [NaNO3] et pour le nitrate de potassium [KNO3],

- de 200 mg kg-1 pour le nitrite de sodium [NaNO2] et pour le nitrite de potassium [KNO2].

En fait, à partir de 1956, à la suite des travaux de Magee et Barnes qui relataient une augmentation, chez le rat, de la fréquence des pathologies tumorales hépatiques sous l’effet d’une nitrosamine, la diméthylnitrosamine, la crainte, chez l’homme, d’une carcinogénicité éventuelle des nitrates et nitrites alimentaires a pris corps.

Les auteurs américains [Université du Wisconsin, USA] signalent un certain nombre de faits administratifs et réglementaires ayant, par la suite, émaillé l’histoire des nitrates et des nitrites dans leur pays.

En 1958, par exemple, le système américain adopte l’«amendement Delaney», du nom d’un représentant du Congrès de l’époque. L’amendement ajoute au "Federal Food, Drug, and Cosmetic Act", signé en 1938 par le président Franklin D. Roosevelt, l’obligation désormais faite à la FDA [Food and Drug Administration] de bannir de la nourriture tout ingrédient connu pour être cancérigène. Les débats concernent alors divers produits tels la saccharine, l’hydroxyanisole et l’hydroxytoluène butylés [BHA et BHT], sans oublier les nitrates et nitrites ajoutés à la viande.

Au début des années 1970, la crainte que la formation de nitrosamines puisse être particulièrement favorisée par de hautes températures supérieures à 130°C, lors de la friture du bacon par exemple, amène les autorités américaines à durcir en 1978 les règles de préparation de ce produit alimentaire. L’addition au bacon de nitrate [NO3-] est prohibée. Celle de nitrite de potassium [KNO2] doit rester inférieure à 148 mg kg-1.

Un article de P.M. Newberne, paru en 1979 dans la revue «Science», intitulé «Nitrite promotes lymphoma incidence in rats», donne lieu en 1980 à une rectification de la part de de l’«Interagency Working Group on Nitrite Research», convoqué par la «Food and Drug Administration» [FDA]. La démonstration de Newberne n’apparaît pas scientifiquement convaincante [«No demonstration could be found that the increased incidences of these tumors were induced by the ingestion of sodium nitrite»].

Selon un avis émis en 2006 par le Centre International de Recherche sur le Cancer [CIRC], membre de l'Organisation Mondiale de la Santé [OMS], les ions nitrate et nitrite ingérés sont «probablement cancérigènes chez l’homme» (Groupe 2A) [«Ingested nitrate or nitrite under conditions that result in endogenous nitrosation is probably carcinogenic to humans (Group 2A)»].

Les auteurs américains rappellent qu’en réalité la salive humaine contient en permanence des nitrites. La plus grande partie des nitrites que nous avalons vient, en fait, de la salive [Most ingested nitrite is formed in saliva]. La déglutition de la salive associée à celle de n’importe quel aliment est ainsi capable de donner lieu à la formation de composés N-nitrosés. Les auteurs américains se montrent ainsi très critiques à l’égard de la décision du CIRC [When carefully examined, this conclusion appears to be very narrow in scope […] Thus, questions about the appropriateness of the IARC conclusion exist].

Contrastant avec toutes les péripéties et controverses scientifico-administratives (dont cette rubrique n’est pas en mesure de faire un compte rendu exhaustif), il se trouve, comme le soulignent les auteurs dans leur conclusion, que les travaux scientifiques des dernières décennies ont tout particulièrement mis en lumière les effets bénéfiques des nitrates et nitrites alimentaires sur la santé humaine [The ongoing research focused on the metabolism of nitric oxide, nitrite, and nitrate appears to reaffirm the general benefits of nitrate/nitrite in human health].  

Les scientifiques de l’alimentation sont ainsi confrontés à un double défi [The challenge to scientists is twofold]:

- Améliorer notre compréhension des mécanismes de la salaison

- Instruire l’ensemble des nutritionnistes et des scientifiques de la santé, et, bien sûr aussi, le grand public, afin de faire comprendre le rôle fondamental en biologie humaine de l’ion nitrite [NO2-] et de permettre à chacun de prendre les distances qui s’imposent à l’égard des griefs parfois encore formulés à tort à son encontre [The second is to effectively educate a broad community of public health scientists, nutritionists, and the general public about the fundamental role of nitrite in biology in order to address concerns about adverse heath effects from dietary exposure].

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