Une eau minérale riche en nitrate

Brémond, F. (1877) Notice sur l’eau minérale nitrée du Prieuré d’Heudreville (Eure), suivie par Cloüet, J. Etude sur Heudreville et sa source minérale. V.Adrien Delahaye et Cie, éditeurs, place de l’Ecole-de-Médecine, Paris, 56 p.

(voir l’ouvrage ici)

De nos jours, les eaux minérales vantent leur pauvreté en nitrate. Au dix-neuvième siècle, c’était le contraire. Quand elle était riche en nitrate, une eau minérale était louée pour ses nombreuses propriétés bénéfiques.

Le docteur Félix Brémond, habitant du Lavandou (Var), fut, en son temps, un auteur prolixe. On lui doit différents ouvrages d’hygiène et d’histoire de la médecine, notamment: «L’acide salicylique à l’Académie», 1877; «Rabelais médecin», 1879; «Dictionnaire de médecine et d’hygiène de famille», 1883; «Hygiène usuelle étudiée d’après les actes de la vie normale», 1884; «Précis d’hygiène industrielle», 1893; «Les maladies de Paris», 1895; «Le saturnisme professionnel. Guerre à la céruse», 1901.

En 1877, il consacre un ouvrage à une eau minérale particulièrement riche en nitrate, l’eau du Prieuré d’Heudreville, dans le département de l’Eure. La source apparaît au fond d’un puits de 37 mètres de profondeur. Le puisement de l’eau est direct, au moyen d’un treuil maniant des paniers de 25 bouteilles. L’eau est «claire, limpide, d’un goût agréable, sans saveur prononcée». «L’analyse officielle faite au laboratoire de l’Académie» donne «les résultats suivants: Pour 1 litre: Azotates alcalins: 0 gr 303; Carbonate de chaux: 0 gr 320; Chlorure de sodium: 0 gr 139; Carbonate de magnésie: 0 gr 096; Sulfate de soude: 0 gr 030; Résidu insoluble et perte: 0 gr 016».

Cette eau minérale est riche en ions nitrate. Si le contre-ion est l’ion potassium, l’eau minérale contient 186 mg NO3- l-1; s’il est l’ion sodium, l’eau minérale contient 221 mg NO3- l-1. On peut supposer que l’eau contient quelque 200 mg NO3- l-1.

Soulignant ainsi la richesse en nitrate de l’eau minérale du Prieuré d’Heudreville, l’auteur en profite pour remonter jusqu’à Théophraste et Dioscoride. «Les médecins de tous les temps», écrit-il, «ont reconnu les services rendus à la thérapeutique par les azotates, qu’on appelait autrefois et qu’on appelle encore «nitrate» ou «sel de nitre». Théophraste, Dioscoride, Galien, Pline, Mesué, Malthiole et tous les savants qui ont écrit depuis les origines de la science jusqu’à la fin du seizième siècle s’accordent à dire que le nitre jouit de propriétés incontestables.»

Il cite ensuite des auteurs plus proches. En 1572, Antoine du Pinet recommande, par exemple, l’usage des nitrates pour le traitement des «trenchées du ventre», des «fièvres périodiques», des «ventosités», des «tintements» d’oreille, de l’hydropisie. En 1808, Alibert, signale que, grâce aux nitrates, «le pouls est plus lent et moins vif»; ils modèrent la «susceptibilité nerveuse». Orfila les décrit comme «rafraîchissant et diurétique»; il les recommande pour le traitement des gonorrhées, des «fièvres dites ardentes» et certaines affections rhumatismales. Hufeland les présente comme «un des meilleurs antifébriles».

«On n’en finirait pas», poursuit-il, «si l’on voulait passer en revue tout ce qui a été écrit en faveur des nitrates alcalins. Résumons l’opinion générale en disant que, administrés à doses modérées, ils présentent deux propriétés curatives importantes. D’une part, ils agissent sur la circulation en la ralentissant, sur le sang, en diminuant sa plasticité, en le rendant plus diffluent, ce qui les range parmi les médicaments contro-stimulants; d’autre part, en traversant les reins par lesquels ils sont éliminés, ils excitent ces organes quand ils sont paresseux, augmentent leur sécrétion et méritent de figurer à la tête des médicaments diurétiques.»

Enfin l’auteur signale «un grand nombre de préparations pharmaceutiques dont les nitrates alcalins forment la base»: la tisane antiphlogistique de Stoll, les poudres tempérantes de Chaussier et de Stahl, l’apozême de Swediaur, la potion de Fouquier, le vin nitré de l’Hôtel-Dieu, l’eau diurétique de Fuller, la liqueur antinéphrétique d’Adams, les pilules antilaiteuses de Dumas, etc. Il ajoute: «Il est permis de rappeler que, dans toutes, le médecin s’est proposé de produire artificiellement un résultat qui se trouve naturellement dans l’eau minérale d’Heudreville.»

Commentaire du blog

Il n’est pas question de se baser sur ces données du 19ème siècle pour affirmer l’innocuité des nitrates alimentaires, ni pour affirmer leurs propriétés bénéfiques.

Cet ouvrage est, par contre, fort intéressant sur le plan historique. Il nous montre l’état des connaissances, il y a 134 ans.

On remarquera que de nombreuses préparations pharmaceutiques à base de nitrate étaient alors disponibles.

On remarquera aussi que, dès cette époque, l’action bénéfique cardiovasculaire des nitrates commence à être perçue [Le pouls est «moins vif», la circulation est «ralentie», la «plasticité» du sang «diminuée»].

La disgrâce des nitrates qui caractérise le 20ème siècle est destinée à prendre fin. Elle cessera lorsque les autorités sanitaires auront admis que ni le grief carcinologique ni le grief méthémoglobinémique qu’elles ont arbitrairement énoncés il y a plus d’un demi-siècle ne sont scientifiquement fondés.

Quelques précisions biographiques

  • Théophraste (v.371-v.287 av. J.-C.), philosophe grec, fondateur de la science botanique, connu pour ses «Caractères».
  • Dioscoride (1er s.), médecin grec (Anazarbe, Cilicie).
  • Galien (131-200) médecin grec, médecin personnel de Marc-Aurèle [Cf. rubrique du 25 février 2011].
  • Pline l’Ancien (23/24-79), écrivain latin, auteur d’une Histoire naturelle en 37 volumes.
  • Mésué l’Ancien ou Jahja ben Maseweih (777-857), médecin arabe de Bagdad, chrétien nestorien, médecin personnel du calife Mamoun et de ses successeurs.
  • Matthiole, ou plutôt Mattioli (1500-1577), médecin et botaniste italien. A écrit un commentaire de Dioscoride, maintes fois réédité.
  • Antoine du Pinet, sieur de Noroy (16ème s.), géographe, défenseur de l’Eglise réformée, auteur d’une Historia plantarum (1561).
  • Alibert (1768-1837) médecin personnel de Louis XVIII et de Charles X.
  • Orfila (1787-1853), médecin et chimiste français, pionnier de la toxicologie.
  • Hufeland (1762- 1836), médecin personnel du roi de Prusse, Frédéric III, de Goethe, de Schiller.
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