Coûts «réglementaire» et «social» des nitrates

van Grinsven, H.J.M., Rabl, A. and de Kok, T.M. (2010) Estimation of incidence and social cost of colon cancer due to nitrate in drinking water in the EU: a tentative cost-benefit assessment. Environmental Health 9, 58 doi:10.1186/1476-069X-9-58

(voir le texte entier ici)

Les mesures habituellement destinées à limiter les teneurs en nitrates dans l’eau de boisson consistent à la mélanger avec une eau moins riche en nitrates, à la traiter par des moyens biochimiques, à creuser des puits d’extraction plus profonds [Typical measures to prevent nitrate exceedance in drinking water are blending polluted water with clean water, biochemical water treatment and installing deeper extraction wells.]

Rares sont, en réalité, les données disponibles sur le coût de telles mesures. Les auteurs rapportent des chiffres officiels: 0.5 euro par an et par personne au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, 3 euros par an et par personne en Autriche et en Allemagne. Aux Etats-Unis, cependant, quand la situation requiert de creuser de nouveaux puits privés, le coût pourrait monter jusqu’à 15 euros par an et par personne.

Les auteurs mettent en parallèle le coût de ces mesures avec le «coût social» («social cost») des cancers du côlon, au cas où la présence de nitrates dans l’eau de boisson en augmenterait l’incidence. Ils se réfèrent à une étude cas-contrôles américaine mise en œuvre entre 1986 et 1989 dans l’Etat de l’Iowa, publiée en 2003 [De Roos et coll.]. Dans l’ensemble de la population étudiée, cette étude ne détecte aucune corrélation entre le taux des nitrates dans l’eau de boisson et l’incidence du cancer du côlon [This study did not find an association between colon cancer and nitrate for the total population]. Mais, dans un sous-groupe particulier, celui des sujets fort consommateurs de viandes, elle note une association statistique entre la concentration de l’eau en nitrates, si celle-ci dépasse 22 mg NO3- l-1, et l’incidence du cancer colique.

Sur ces bases, leurs calculs les amènent à considérer que, dans 11 pays européens (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Irlande, Italie, Pays Bas), le «coût social» lié aux nitrates de l’eau de boisson et à ses retentissements sur la carcinogenèse colique correspondrait à 18000 années perdues (years of life lost, YLL) et 23000 années perturbées (years lived with disability, YLD). Comptant un coût économique de 40000 euros par YLL et 12000 euros par YLD, ils aboutissent à un coût total de 1 milliard d’euros par an, soit à un coût social de 2.9 euros par an et par personne [This corresponds to a population-averaged health loss of 2.9 euro per capita].

Ils en déduisent que les mesures actuelles destinées à limiter le teneurs en nitrate dans l’eau de boisson en deçà de 50 mg par litre sont probablement bénéfiques pour la société et que, même, de plus strictes limites pourraient se justifier [Our cost estimates indicate that current measures to prevent exceedance of 50 mg/l NO3 are probably beneficial for society and that a stricter nitrate limit and additional measures may be justified].

Leur conclusion est assortie de plusieurs bémols. Leur évaluation du coût social est incertaine. Elle ne prend en considération qu’un seul type de cancer, dans le cadre d’une seule étude épidémiologique [The present assessment of social cost in uncertain because it considers only one type of cancer, it is based on one epidemiology sudy in Iowa, and involves various assumptions regarding exposure].

Commentaires du blog

1 Sur le plan méthodologique, tout travail  épidémiologique cherchant à vérifier l’existence d’un lien entre la teneur en nitrates de l’eau de boisson et l’incidence d’un cancer est doublement fautif. Il omet de prendre en considération, d’une part, les apports en nitrates venant des légumes, que l’on sait riches en nitrates, d’autre part, la synthèse endogène en nitrates, par l’intermédiaire de la voie de la L-arginine-NO synthase, qui augmente considérablement à l’occasion des activités physiques, sportives ou des séjours en altitude [erreurs n° 7a et 7c – rubrique du 27 juillet 2010].

2 Cette double réserve étant faite, on constate qu’à ce jour, 3 études ont cherché à vérifier l’existence d’un tel lien statistique entre la teneur en nitrates de l’eau de boisson et le risque de cancer colique: Chen et coll., 1987; Morales-Suarez-Varela et coll., 1995; De Roos et coll., 2003. Aucune n’a conclu positivement pour l’ensemble de la population, la dernière, à laquelle se réfèrent les auteurs, montrant seulement un lien positif pour une sous-population.

3 Il est, certes, intéressant de disposer de chiffres évaluant le coût de la réglementation européenne sur les nitrates dans l’eau potable. On regrettera cependant qu’ils soient livrés par les auteurs sans explication sur le mode de calcul. De plus, est-on vraiment sûr qu’ils correspondent aux nitrates exclusivement? La présentation des auteurs, sur ce point, est imprécise.

4 La façon dont est calculé le «coût social» du cancer du côlon, l’objectif étant de le confronter au coût de la réglementation, laisse perplexe. Est-il envisageable de fixer scientifiquement un prix à la vie humaine? De quel raisonnement obscur peuvent sortir les chiffres de 12000, de 40000 euros censés évaluer financièrement chaque année humaine perturbée, chaque année humaine perdue?

5 Il va de soi que s’il était, un jour, démontré qu’une eau d’adduction publique riche en nitrates porte la responsabilité ne serait-ce que d’un seul décès consécutif à un cancer, colique ou autre, il serait justifié de prendre des mesures administratives pour fixer, à l’égard de l’anion en question, une concentration maximale admissible. Dans un tel cas de figure, le raisonnement n’aurait pas à porter sur une comparaison en euros, éthiquement discutable.

6 Aujourd’hui, après un demi-siècle de recherche assortie de très nombreuses tentatives, la démonstration de la carcinogénicité des nitrates continue à faire entièrement défaut. Les réglementations actuelles, notamment dans l’eau de boisson, n’ont pas de justification scientifique.

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