Nitrites dans la charcuterie. Une taxe française envisagée sans fondement scientifique

Santolini, J. (2019) Charcuterie: entre nitrate sans danger et nitrite toxique, comment s’y retrouver ? https://theconversation.com/charcuterie-entre-nitrate-sans-danger-et-nitrite-toxique-comment-sy-retrouver-125584

 

Le 22 octobre 2019, le média en ligne collaboratif français «The conversation» a ouvert ses pages à un chercheur en biochimie, responsable du laboratoire «Stress oxydatif et détoxication» au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) de l’Université Paris-Saclay. On lira la contribution de l’auteur, Jérôme Santolini, en cliquant sur le lien signalé ci-dessus.

 

Il s’agit pour lui de distinguer l’ion nitrate NO3- sans danger de l’ion nitrite NO2- supposé toxique.

 

L’article comporte un certain nombre d’erreurs, d’imprécisions, d’omissions que nous nous proposons de relever.

 

• ligne 15: «C’est le fameux syndrome des bébés bleus liés à l’utilisation excessive de nitrates dans les engrais agrochimiques».

 

Le «syndrome des bébés bleus», connu en médecine sous le nom de «méthémoglobinémie du nourrisson», qui peut survenir avant l’âge de 6 mois, n’est pas lié directement à l’ingestion de nitrate NO3- mais bien à celle de nitrite NO2-, quand un biberon contient à la fois des nitrates NO3- (à une concentration variable, faible ou forte) et une pullulation microbienne intense, dépassant 106 germes ml-1. C’est ce qui pouvait arriver dans certaines régions rurales américaines et européennes dans les années d’après-guerre avec un biberon contenant du lait en poudre et une eau de puits bactériologiquement contaminée.

 

Le «syndrome des bébés bleus» n’a pas de lien avec l’utilisation des engrais.

 

Par ailleurs, l’auteur omet de signaler que chez l’enfant âgé de plus de 6 mois et chez l’adulte, l’activité enzymatique de la méthémoglobine réductase étant alors devenue pleine et entière, l’ion nitrite NO2- ne fait plus courir aucun risque de méthémoglobinémie (sauf à injecter des doses massives de plus de 200 mg de NO2- par voie intraveineuse…).

 

• ligne 22: «De nombreuses bactéries dans notre bouche (mais aussi nos propres enzymes) vont catalyser la conversion de nitrate en nitrite, transformant des taux élevés de nitrate (normalement sans danger) en taux toxiques de nitrite».

 

La conversion des ions nitrate NO3- en ions nitrite NO2- se fait exclusivement, ou quasi exclusivement, dans la cavité buccale, grâce aux nitrate réductases bactériennes de la flore salivaire. Le nombre de bactéries dans la salive de l’adulte est très important: 108 germes ml-1. Il dépasse le seuil (106 germes ml-1) au-delà duquel s’effectue la transformation nitrate-nitrite. Nos propres cellules sont dépourvues de nitrate réductases. La transformation nitrate-nitrite hors cavité buccale est quasi nulle.

 

Du fait de la transformation dans la cavité buccale des ions nitrate NO3- d’origine salivaire en ions nitrite NO2- salivaire, la salive de l’adulte contient en permanence à jeun, et toute la vie, 1 ou 2 mg NO2- l-1. Chez l’adulte, dans les conditions de base, les concentrations en nitrite de la salive sont plus de 1000 fois supérieures à celles du plasma. Une heure après le repas, la concentration de la salive en nitrite de l’adulte s’élève, atteignant 5 à 10 mg NO2- l-1.

 

Ces concentrations de la salive humaine en nitrite NO2- sont physiologiques, nullement toxiques.

 

• ligne 51: «Les NOx, dérivés du NO2, principaux responsables de la pollution de l’air»

 

Sans rapport avec la question de l’éventuelle toxicité des nitrites dans la charcuterie, la phrase se discute. L’OMS insiste plutôt sur l’exposition aux particules fines d’un diamètre de 2.5 microns ou moins [PM2,5].

 

• ligne 69 et suivantes: «Nathan Bryan, l’actuel secrétaire/trésorier de la NO Society […] fait partie d’un groupe de scientifiques défendant au sein de ma communauté la contribution du nitrite dans certains processus physiologiques et associant le nitrite aux effets miracles du NO».

 

Actuellement, l’ensemble des scientifiques publiant sur le sujet affirment et reconnaissent que l’ion nitrite est un intermédiaire indispensable de la voie Nitrate-Nitrite-NO, une voie de synthèse de NO indépendante de la NO synthase. La découverte de cette nouvelle voie métabolique date de 1994. On la doit à deux équipes ayant travaillé sans lien l’une avec l’autre, celle de Benjamin au Royaume-Uni, celle de Lundberg en Suède. Elle a révolutionné notre conception de la physiologie des nitrates et des nitrites.

 

Qu’il provienne de l’activité enzymatique des NO synthase ou de la voie Nitrate alimentaire-Nitrite-Oxyde nitrique NO, l’oxyde nitrique, la plus petite molécule de l’organisme, est à l’origine, chez l’homme, de multiples effets bénéfiques: effet vasodilatateur, diminution de la tension artérielle, anti-agrégation plaquettaire, prévention de l’infarctus du myocarde et des maladies cérébrovasculaires, effet anti-infectieux digestif, amélioration des performances sportives d’endurance, etc.

 

• ligne 97: «Ces molécules (NDLR qui proviennent de la transformation du NO2- et du NO) […] conduiront à l’oxydation, la nitrosation et/ou la nitration irréversible de nombreuses protéines (la formation de nitrosamines par exemple) au cœur des processus de carcinogenèse».

 

En l’état actuel de nos connaissances, il n’est pas exact de dire que les nitrosamines sont au cœur des processus de carcinogenèse.

 

Chez la souris, il faut des administrations prolongées tout au long de l’existence de plus de 0.01 mg/kg/jour de nitrosodiméthylamine [NDMA] pour que le risque carcinogène commence à apparaître (Peto et coll., 1984). Chez l’homme, on estime la synthèse de la même nitrosodiméthylamine [NDMA] dans l’estomac à partir des nitrites salivaires, dans le cadre du métabolisme des nitrates, à 0.00148 μg/jour [Licht et Deen, 1988]. Pour un homme de 70 kg, elle serait ainsi 700/0.00148, soit près de 500 000 fois, inférieure à la dose qui commence à être cancérigène chez l’animal.

 

• ligne 116: «Les discours sur les bienfaits des nitrites ou des nitrates sont des «fake» […] Il est important de s’appuyer sur une véritable connaissance scientifique»

 

La deuxième phase est juste. La première est erronée.

 

La taxe sur la charcuterie contenant des additifs nitrés qu’il serait question d’instaurer en France, ou encore la suppression des viandes additionnées de nitrite dans les cantines scolaires, objet actuel de demandes, sont, l’une et l’autre, dénuées de fondement scientifique. Le seul danger lié aux ions nitrite NO2- est celui de la méthémoglobinémie du nourrisson, lorsque l’enfant est âgé de moins de 6 mois et que sa méthémoglobine réductase n’a pas encore atteint une pleine activité. A cet âge, l’enfant ne consomme pas de charcuterie.

 

Les ions nitrate NO3- sont sans aucun danger (comme le précise d’ailleurs l’auteur), et ce quelle que soit la dose (il s’agit d’une exception notable au principe de Paracelse…).

 

Alors que, pour assurer une synthèse endogène permanente en oxyde nitrique NO, notre organisme a mis au point un système physiologique complexe qui, après l’âge de six mois puis toute la vie, a pour résultat d’enrichir fortement et vingt-quatre heures sur vingt-quatre la salive en nitrite NO2-, alors qu’au cours de la mastication puis après la déglutition jusque dans l’estomac, les aliments, y compris, bien sûr, la viande, sont étroitement mélangés aux nitrites de la salive, comment ne pas voir l’inadéquation scientifique des campagnes anti-nitrite se développant actuellement en France ?

 

 

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