Restriction de croissance fœtale – supplémentation en nitrate chez la femme enceinte

Cottrell, E., Tropea, T., Ormesher, L., Greenwood, S., Wareing, M., Johnstone, E., Myers, J. and Sibley, C. (2017) Dietary interventions for fetal growth restriction – therapeutic potential of dietary nitrate supplementation in pregnancy. Journal of Physiology 595, 5095-5102

(voir l'abstract ici)

Le syndrome de restriction de croissance fœtale affecte environ 5 % des grossesses. Il expose le bébé à toutes sortes de complications, augmente la mortinatalité, tout comme la morbidité et la mortalité néonatales. Malgré les risques encourus, il n’est pas, à l’heure actuelle, hormis parfois un accouchement prématuré, de traitement envisageable à l’encontre de ce syndrome. Pour des raisons aisément compréhensibles, l’industrie pharmaceutique n’a pas cherché et ne cherche pas à s’investir en ce domaine.

De nombreux facteurs maternels sont susceptibles d’avoir des répercussions négatives sur la croissance fœtale, notamment l’hypertension artérielle chronique, des troubles infectieux, des situations de stress psychologique. Des facteurs nutritionnels maternels peuvent également interférer. On a incriminé la restriction calorique, des déficits en acide folique, fer, zinc, ou vitamine D, ou encore un régime trop riche en sucre et en graisse. A l’inverse, il a été montré que les régimes maternels riches en fruits et légumes peuvent être associés à un moindre risque d’apparition du syndrome de restriction de croissance fœtale [Conversely, diets high in vegetables and fruit (Brantsaeter et al., 2009) […] have been associated with reduced risk of fetal growth restriction].

Les mécanismes qui sous-tendent l’apparition de la restriction de croissance fœtale sont encore incomplètement compris. Il semble cependant qu’elle soit consécutive à des perturbations de la fonction vasculaire et du flux sanguin utéroplacentaires [Although the mechanisms underlying fetal growth restriction are incompletely understood, impairments in uteroplacental vascular function and blood flow are consistently shown to be involved (Kingdom et al., 1997; Shibata et al., 2008; Ghosh and Gudmundsson, 2009)]. Par ailleurs, notons qu’au cours d’une grossesse normale, l’oxyde nitrique NO maintient une faible résistance et un flux sanguin satisfaisant dans la circulation utéroplacentaire tandis que, chez la femme, une diminution de la biodisponibilité de ce radical augmente le risque d’apparition de la restriction de croissance fœtale [Nitric oxide (NO) is critically involved in maintaining a low-resistance/high flow uteroplacental vasculature in healthy pregnancies (Poston et al., 1995; Kublickiene et al., 1997), and reductions in NO bioavailability have been associated with fetal growth restriction in humans (Casanello and Sobrevia, 2002; Schiessl et al., 2006; Krause et al., 2013)].

Aussi a-t-on d’abord cherché à augmenter au cours de la grossesse la biodisponibilité en oxyde nitrique NO en agissant sur sa synthèse endogène: supplémentation en L-arginine, administration de L-citrulline. Avec des modèles expérimentaux, on a aussi agi sur ses métabolites, par inhibition de la phosphodiestérase de type 5 [PDE-5] (Sildenafil citrate ou ViagraR) avec de premiers résultats encourageants. Dès lors, une étude portant sur le Sildenafil chez la femme enceinte a été mise en oeuvre, et est en cours [Given these promising data, the first large-scale randomised controlled trial is currently underway to assess the efficacy of maternal sildenafil citrate therapy to improve pregnancy outcomes in severe early-onset fetal growth restriction (the STRIDER trial: Sildenafil Therapy in Dismal prognosis Early-onset intra-uterine growth Restriction (Ganzevoort et al., 2014)].

Compte tenu des effets bénéfiques cardiovasculaires, maintenant classiques, chez l’homme comme chez l’animal, de la supplémentation alimentaire en nitrate NO3-, connue pour augmenter la biodisponibilité en oxyde nitrique NO et pour améliorer la fonction vasculaire, il devient  logique d’en tester les effets en cas de grossesse. Chez la souris déficiente en NO synthase endothéliale, les auteurs [Université de Manchester, Royaume-Uni] ont déjà montré qu’une supplémentation alimentaire en nitrate NO3-, sous forme de jus de betterave, augmente les concentrations maternelle et fœtale en nitrate NO3- et nitrite NO2-, améliorant ainsi la fonction vasculaire en regard de l’artère utérine [Our preclinical findings have shown that maternal dietary nitrate supplementation (using beetroot juice) increases both maternal and fetal nitrate and nitrite concentrations and improves maternal uterine artery vascular function ex vivo in a mouse model of fetal growth restriction associated with marked vascular dysfonction, the eNOS knockout mouse (Cottrell et al., 2015)].

Plus récemment, on a montré chez l’animal soumis à l’action d’un inhibiteur de la synthèse endogène d’oxyde nitrique, le L-NG-nitroarginine methyl ester ou L-NAME, qu’une adjonction de nitrite de sodium NaNO2 provoque non seulement une atténuation de l’hypertension artérielle maternelle mais encore une amélioration de la santé fœtale [In this preeclampsia-like model, maternal treatment with sodium nitrite […] attenuated the maternal hypertension induced by L-NAME, and significantly improved fetal outcomes (Goncalves-Rizzi et al., 2016)].

L’action bénéfique des régimes riches en légumes sur le poids et la santé du fœtus pourrait donc être consécutive aux apports en nitrate NO3- [It is of interest that maternal green leafy vegetable intake has been shown by several groups to be significantly associated with improved pregnancy outcomes and birth weight […].Green leafy vegetables provide a rich source of folate and iron; however it is plausible that some of the beneficial effects attributed to these foods could be due to increased provision of dietary nitrate].

Ainsi, les auteurs britanniques annoncent qu’ils s’apprêtent à mettre en œuvre une étude de faisabilité chez la femme enceinte. L’étude préliminaire conduite en double aveugle contre placebo concernera des femmes hypertendues, menacées par le syndrome de restriction de croissance fœtale. Pendant une semaine, elles ingèreront soit une supplémentation alimentaire en nitrate NO3- sous forme de jus de betterave, soit un placebo. L’attention se portera sur la tolérance de la supplémentation et les effets qu’elle exerce sur la fonction cardiovasculaire maternelle et la résistance vasculaire utéroplacentaire.

Si les premiers résultats sont probants, les auteurs britanniques ont alors l’intention de continuer, en étudiant les effets de la supplémentation en nitrate NO3- chez la femme enceinte en cas de diminution de la biodisponibilité en oxyde nitrique NO et d’altération de la fonction vasculaire, c’est-à-dire, plus précisément, en cas de pré-éclampsie et de restriction de la croissance fœtale [If effective, this approach could be expanded in future studies to intervene in a number of pregnancy complications associated with impaired vascular function and limited NO bioavailability, including fetal growth restriction and preeclampsia].

Commentaire du blog

Il pourra paraître étonnant à certains que des scientifiques envisagent de procéder à des supplémentations alimentaires en nitrate NO3- chez la femme enceinte. Sans réel argumentaire, des documents administratifs anciens présentaient la femme enceinte comme un possible sujet à risque et, dès lors, lui recommandaient de limiter ses apports nitratés. On trouve encore ici et là des traces de la crainte ancienne. Nous citerons à titre d'exemple:

- ce document émanant du Réseau de Création et d’Accompagnement Pédagogique CANOPE (ex-Centre Régional de Documentation Pédagogique, CRDP) de l’Académie de Montpellier (voir ici),

- ou ce feuillet du «Department of Environmental Quality» de l’Etat de l’Oregon [Etats-Unis] du 26 août 2015 (voir là).

En réalité, en l’état actuel de la science, rien ne permet de considérer que les apports en nitrate puissent faire courir à la femme enceinte et à son bébé un risque sanitaire quelconque.

Notons d'ailleurs que le projet des auteurs britanniques intéresse tout particulièrement la "British Heart Foundation" [Cf. ici].

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