Nitrate et nitrite. Confusion et désarroi du grand public

Bedale, W., Sindelar, J.J. and Milkowski, A.L. (2016) Dietary nitrate and nitrite: benefits, risks, and evolving perceptions. Meat Science 120, 85-92

(voir l'abstract ici)

Les auteurs américains [Université de Wisconsin-Madison, Madison, Wisconsin] présentent une revue d’ensemble portant sur les risques éventuels et les effets bénéfiques des ions nitrate NO3- et nitrite NO2-. Leur revue s’ajoute aux travaux d’ensemble déjà parus, ceux, par exemple, de Milkowski et coll., Sindelar et Milkowski, Habermeyer et coll., Butler, Clements et coll., Kobayashi et coll., Bryan et Ivy et McNally et coll. [Cf. rubriques des 27 octobre 2009, 24 janvier 2012, 4, 8 et 12 décembre 2014, 16 décembre 2014, 17 février 2015, 23 octobre 2015 et 27 janvier 2016].

Dans l’article des auteurs américains, on retient surtout le tableau qu’ils font de la confusion régnant actuellement sur le sujet dans le grand public.

D’une part, les opinions des consommateurs sont partagées. D’autre part, la confusion des esprits mène à des illogismes.

▪ Une enquête menée en 2015 par l’International Food Information Council Foundation [IFIC] montre chez le consommateur de base des opinions partagées. En matière de santé alimentaire, 34 % des personnes interrogées pensent que le risque le plus important reste le risque bactérien; un nombre à peu près égal (voire même légèrement supérieur), 36 % des personnes interrogées, considère que le risque vient surtout des produits chimiques ajoutés à la nourriture.

▪ Des illogismes et contradictions existent.

- Aux Etats-Unis, on note des bizarreries administratives […quirk in U.S. requirements […]].

Suite à un mouvement «clean label» («étiquette propre») et anti-nitrite qui affecte le grand public, le Département de l’Agriculture des Etats-Unis [USDA] a déclaré que, pour pouvoir bénéficier de l’appellation «natural» ou «organic», une viande devrait désormais être exempte de toute addition de produits chimiques de synthèse, notamment de  nitrite de sodium ou d’érythorbate de sodium.

- Les fabricants de bacon, de jambon, de saucisses se sont adaptés. Pour éviter l’adjonction de nitrate et de nitrite de sodium d’origine synthétique tout en gardant à l’aliment sa couleur, sa saveur, et, bien sûr, sa sécurité bactériologique, ils ont simplement remplacé les deux produits par un ingrédient dit «naturel», la poudre de céleri, … elle-même connue par ailleurs pour sa forte concentration en ions nitrate…

- Outre-Atlantique, l’entreprise de distribution alimentaire de produits biologiques «Whole Foods Market» ainsi que la chaîne de boulangerie et de café «Panera Bread» garantissent, l’une et l’autre,  à leurs clients qu’aucun des aliments délivrés ne contient de nitrate ou de nitrite,…exception faite cependant de nitrates et de nitrites d’origine «naturelle»…

- La presse populaire vante les hot dogs contenant de la poudre de céleri, les présentant comme meilleurs pour la santé que les «hot dogs pleins de nitrate».

- Et le consommateur croit ainsi, à tort, consommer un aliment sans nitrate.

- Quand on l’interroge de manière plus précise et qu’on lui demande s’il préfère consommer des nitrites provenant d’aliments «naturels» ou des nitrites «seuls», le consommateur répond habituellement qu’il préfère les nitrites provenant d’aliments «naturels». On trouve cependant certaines personnes incertaines de l’innocuité des nitrites provenant d’extraits «naturels».

- Née vers les années 1970 en raison de leurs hypothétiques risques sanitaires, la suspicion à l’égard des ions nitrate NO3- et nitrite NO2- n’est pas vraiment retombée, ce qui n’empêche pas de constater un paradoxe. Aux Etats-Unis, la vente du bacon, un des aliments les plus riches qui soient en nitrite, continue à croître régulièrement, d’environ 10 % par an.

▪ Ces dernières années, aux Etats-Unis, la grande presse américaine a fait état des effets bénéfiques, notamment cardiovasculaires, des ions nitrate NO3- d’origine alimentaire, rapportant même parfois les études cliniques en apportant la démonstration.

Par l’intermédiaire des revues de fitness, de sites Internet consacrés à la santé, et même par la grande presse, un certain nombre de consommateurs ont également entendu parler des effets bénéfiques des ions nitrate NO3- d’origine alimentaire sur la performance sportive. En 2014, adepte du sensationnel, le Wall Street Journal présentait, par exemple, le jus de betterave comme l’arme secrète permettant à l’équipe de football américain les Tigers d’Auburn [Alabama, USA] d’accumuler les victoires (voir ici).

Ainsi des positions illogiques ou contradictoires apparaissent. Du fait de la pression du «clean label», certains consommateurs redoutent l’addition de nitrate ou de nitrite de sodium dans les aliments carnés, évitant scrupuleusement de consommer des viandes soumises à ce type d’adjonction, alors que, dans le même temps, ils remplissent vertueusement leur panier à provisions de céleri, d’épinards, de jus de betterave. Ils ne réalisent pas vraiment que les produits végétaux dont ils sont amateurs contiennent justement, et en quantité, l’ion nitrate NO3- qu’ils évitent dans les viandes sous sa forme chimiquement purifiée.

▪ En conclusion, faisant preuve d’un brin d’optimisme, les auteurs américains estiment que l’éducation du grand public devrait réussir, à long terme, à améliorer son acceptation des ions nitrate et nitrite [Dietary nitrate and nitrite have positive health attributes associated with nitric oxide metabolism that are now being understood and even embraced by the same public that previously feared nitrate and nitrite. Education and time may eventually improve the public’s acceptance of nitrite in cured meat product].

Commentaire du blog

Aux Etats-Unis, la confusion qui règne dans les esprits sur la question des nitrates et de la santé est désolante. On peut facilement envisager une situation analogue en Europe et en France.

Cette confusion est consécutive:

- aux erreurs ou «bizarreries» administratives, les réglementations officielles concernant les  nitrates alimentaires ayant été édictées sans réelle base scientifique,

- et au relais médiatique, qui s’appuie sur les réglementations officielles, joue sur les peurs, reste assez souvent à distance des nouvelles données scientifiques.

L’optimisme mesuré des auteurs américains réconforte quelque peu. Mais, pour obtenir vraiment une clarification des esprits, il faudrait, semble-t-il, qu’à l’avenir

- reconnaissant leurs erreurs, les autorités administratives retirent leurs réglementations dénuées de fondement scientifique,

- abandonnant tout préjugé en la matière, l’ensemble des médias acceptent de transmettre l’état de la science au public aussi fidèlement qu’il  est possible.

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