Sécurité des nitrates alimentaires

Kobayashi, J., Ohtake, K. and Uchida, H. (2015) NO-rich diet for lifestyle-related diseases. Nutrients 7, 4911-4937

(voir le texte entier ici)

Les auteurs japonais [Service de Diététique clinique et de nutrition humaine, Faculté de Pharmacie, Université Josai International, Saitama, Japon] présentent une revue d’ensemble consacrée aux régimes pourvoyeurs en oxyde nitrique [NO-rich diets] et à leurs effets sur les maladies liées au mode de vie [lifestyle-related diseases].

Le plan de leur exposé est le suivant:

1 Introduction

2 La voie Nitrate alimentaire-Nitrite-Oxyde nitrique et son rôle en physiologie

3 Sécurité et efficacité des nitrates alimentaires

4 Effets protecteurs [protective effects] des nitrates et nitrites alimentaires sur les maladies liées au mode de vie

4.1 Résistance à l’insuline

4.2 Hypertension

4.3 Lésions cardiaques d’ischémie-reperfusion

4.4 Bronchopneumopathie chronique obstructive

4.5 Cancer

4.6 Ostéoporose

5 Conclusion

Le troisième chapitre «Sécurité et efficacité des nitrates alimentaires» [Safety and efficacity of dietary nitrate] retient l’attention.

Les propositions suivantes sont énoncées:

1) De très fortes concentrations en nitrate dans l’eau de boisson peuvent être à l’origine de méthémoglobinémies chez le nourrisson [Very high concentrations of nitrate in drinking water may cause methemoglobinemia in infants (blue baby syndrome)].

2) Dans les années 1940, Comly rapporta le premier des cas de cyanose chez des nourrissons dont les biberons avaient été préparés avec une eau de puits riche en nitrate [In the 1940s, Comly first reported cases of cyanotic infants who received formula prepared with well water containing a high nitrate content].

3) Aux Etats-Unis, l’Environmental Protection Agency [EPA] établit alors réglementairement une teneur maximale en nitrate pour l’eau de boisson, la fixant à 44 mg NO3- l-1 (ce qui équivaut à 10 mg NO3--N l-1) [Based on the subsequent analyses of the infantile cases of methemoglobinemia, the US Environmental Protection Agency (EPA) set a Maximum Contaminant Level (MCL) for nitrate of 44 mg/l (equal to 10 mg/L nitrogen in nitrate)].

4) Toutefois, on sait maintenant que la méthémoglobinémie n’était pas due aux ions nitrate eux-mêmes. Elle était due aux bactéries fécales qui provoquaient une infection digestive à l’origine de la production endogène d’oxyde nitrique [However, it is now thought that methemoglobinemai per se was not caused by nitrate itself, but by fecal bacteria that infected infants and produced NO in their gut]. Avery considère qu’il ne peut y avoir de méthémoglobinémie induite par les nitrates sans contamination bactérienne concomitante. Dans ces conditions, il remet en cause la limite réglementaire de 40/50 mg NO3- l-1 [A recent report by Avery has argued that it is unlikely that nitrate causes methemoglobinemia without bacterial contamination, and also that the 40-50 mg/L limit on nitrate in drinking water is not necessary].

5) Des apports en nitrate de sodium Na NO3 inférieurs à 500 mg kg de poids corporel-1 ne s’étant pas montrés nocifs chez le rat et le chien, une Dose Journalière Admissible [DJA] a ensuite été édictée par l’Organisation Mondiale de la Santé [OMS] pour les nitrates et les nitrites: respectivement 3.7 et 0.07 mg kg de poids corporel-1 j-1 [However, there are now legal limits to the concentrations of nitrate and nitrite in both food and drinking water. The WHO showed that the Acceptable Daily Intake (ADI) for nitrate and nitrite were 3.7 and 0.07 mg/kg body weight/day, respectively, which were based on calculations from the doses of ˂500 mg of sodium nitrate/kg body weight that were harmless to rats and dogs].

6) Cette Dose Journalière Admissible [DJA] est théorique. Elle est couramment dépassée par la population japonaise qui, selon les autorités officielles, consomme habituellement entre 200 et 300 mg NO3- j-1, soit 1.5 à 2 fois la dose réglementaire de la DJA [The Ministry of Health, Labour and Welfare of Japan reported that the average intake of nitrate in the Japanese populations is around 200-300 mg/day, which is one and half times to two times the ADI].

Le régime DASH (régime anti-hypertension artérielle proposé par les autorités cardiologiques américaines) apporte plus de 1200 mg NO3- j-1, soit plus de 5 fois la dose réglementaire de la DJA [(concerning the DASH dietary pattern), the level easily exceeds 1,200 mg/day nitrate. This is more than five-fold higher than the WHO’s ADI of 3.7 mg nitrate/kg body weight/day].

7) Ainsi, il serait envisageable que, dans un proche avenir, les liens entre les nitrates et la santé soient l’objet d’une entière réévaluation [Therefore, a comprehensive reevaluation of the health effects of dietary sources of nitrate/nitrite might be required in the near future].

Commentaire du blog

Ce troisième chapitre, qui méritait de retenir l’attention, mélange propos exacts et inexacts.

1) De très fortes concentrations en nitrate dans l’eau de boisson n’entrainent pas, par elles-mêmes, de méthémoglobinémie. Pour que des nitrates présents dans le biberon soient à l’origine d’une méthémoglobinémie du nourrisson, il est indispensable que le contenu du biberon soit simultanément le siège d’une importante pullulation bactérienne. C’est lorsque la population bactérienne dans le biberon dépasse le seuil de 106 germes ml-1 que les nitrates présents peuvent y être transformés en nitrites. Le nourrisson avale alors les nitrites. Ceux-ci parviennent dans le courant circulatoire, transformant l’hémoglobine du globule rouge en méthémoglobine; d’où la méthémoglobinémie.

Si le biberon contenant des nitrates n’est pas bactériologiquement contaminé (˂ 106 germes ml-1), les nitrates du biberon restent entièrement à l’état de nitrates. Quelle que soit la teneur en nitrates de l’eau utilisée pour la préparation du biberon, le risque méthémoglobinémique est alors nul. C’est la raison pour laquelle jamais l’eau d’adduction publique, bactériologiquement contrôlée (˂ 102 germes ml-1), n’a été à l’origine du moindre cas de méthémoglobinémie du nourrisson, quelle qu’ait pu être, avant l’établissement des limites réglementaires, la concentration atteinte en nitrate.

2) Le propos est exact.

3) En 1962, les autorités sanitaires américaines ont effectivement recommandé une teneur maximale pour l’eau de boisson de 44 mg NO3- l-1. La norme a été fixée par l’US Public Health Service.

4) Comme l’a montré Avery, stimulant la synthèse locale de nitrite NO2-, une infection digestive est en mesure d’élever, chez le nourrisson, la teneur en méthémoglobine. Mais la transformation nitrate-nitrite dans le biberon, sous l’effet, comme il est possible dans les eaux de puits, d’une forte contamination bactérienne [≥106 germes ml-1], reste à redouter. Ceci étant, Avery a tout à fait raison de remettre en cause le bien-fondé scientifique de la concentration maximale réglementaire de 40/50 mg NO3- l-1 dans l’eau d’adduction publique, bactériologiquement contrôlée.

5) Le seul article sur lequel le Comité d’experts sur les Additifs alimentaires de l’OMS et de la FAO [JECFA] s’est fondé en 1962 pour fixer la Dose Journalière Admissible [DJA] de 3.7 mg NO3- kg de poids corporel-1 j-1 est un article de Lehman (1958). Soumis à une ingestion prolongée de fortes doses de nitrates, des rats n’enregistrent aucun effet indésirable, exceptée «quelque diminution de leur croissance lorsque les taux de nitrate sont supérieurs à 1 %». Sur deux chiens également étudiés, rien de significatif n’est constaté. L’article tout à fait rudimentaire n’avait absolument pas les qualités requises pour servir de base à l’établissement d’une DJA.

6) On considère habituellement que l’apport alimentaire moyen en nitrate NO3- de la population française se situe autour de 75 mg j-1. Apparemment, la population japonaise consomme une quantité plus importante de nitrate, plus de trois fois plus.

7) Effectivement, il serait souhaitable que la communauté scientifique procède à une totale réévaluation des liens entre nitrate et santé, avec une totale réévaluation des règlements en vigueur. Dénuée de base scientifique, la concentration maximale réglementaire de 40-50 mg NO3- l-1 dans l’eau d’adduction publique est destinée, à terme, à disparaître. La Dose Journalière Admissible est également dénuée de base scientifique. Mais son application est virtuelle. Sa persistance ou son abrogation tirent moins à conséquence.

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