Microbes, nitrates et nitrites dans les soupes de légumes (2)

Tamme, T., Reinik, M., Püssa, T., Roasto, M., Meremäe, K. and Kiis, A. (2010) Dynamics of nitrate and nitrite content during storage of home-made and small-scale industrially produced raw vegetable juices and their dietary intake. Food Additives and Contaminants 27, 487-495.

(voir l'abstract ici)

(suite)

Les auteurs estoniens évaluent aussi à 0 h, 24 h et 48 h le nombre de bactéries et les taux de nitrates NO3- et de nitrites NO2- dans la soupe de betteraves, lorsqu’elle est préparée à la maison puis laissée à température ambiante (20-22° C).

On remarque d’emblée qu’à 0 h, c’est-à-dire au début de l’expérience, la soupe de betteraves est particulièrement riche en nitrates. Sa teneur moyenne en ions nitrate est de 2625 mg NO3- l-1. Elle est 16 fois plus importante que la teneur moyenne en nitrate de la soupe de carottes préparée dans les mêmes conditions (163 mg NO3- l-1 – Cf. rubrique précédente du 7 mai 2010).

Plus précisément, dans cette soupe de betteraves à 0h, au début de l’expérience, le nombre de bactéries dépasse 105 ml-1. La teneur moyenne en nitrates est de 2625 mg NO3- l-1, la teneur moyenne en nitrites de 2,1 mg NO2- l-1.

Après 24 h, multiplié par cent, le nombre de bactéries vient à dépasser 107 ml-1. Ayant parallèlement baissé de près de 75%, la teneur en nitrates de la soupe de betteraves n’est plus que de 692 mg NO3- l-1.

A l’inverse, le taux de nitrites monte, pour approcher de 80 mg NO2- l-1. Après 48 h, le phénomène s’amplifie. Le nombre de bactéries vient à dépasser 109 ml-1 La teneur en nitrates continue de baisser: 523 mg NO3- l-1. Le taux de nitrites croît jusqu’à 578 mg NO2- l-1.

Commentaire du blog

On sait que les nitrites susceptibles d’apparaître dans les soupes de légumes peuvent être à l’origine de méthémoglobinémies du nourrisson. Cette affection est, certes, le plus souvent bénigne, transitoire, guérissant sans séquelle. Mais quelques rares cas d’intoxication massive ont été signalés; l’affection peut être létale. La vigilance est justifiée.

Pour des raisons éthiques que chacun peut comprendre, il est particulièrement difficile de connaître les liens mathématiques exacts qui unissent, chez le nourrisson, la dose de nitrites ingérée et son taux de méthémoglobine. Nous avons à notre disposition une approximation, celle de Keating et coll., qui estiment en 1973 qu’une méthémoglobinémie de 60% chez un nourrisson de 2 semaines a succédé à une ingestion de 330 mg de nitrites NO2-.

En 1993, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a bien spécifié que les normes des nitrates NO3- dans l’eau de consommation qu’elle recommande n’ont d’autre but que de prévenir la méthémoglobinémie du nourrisson [The guideline value for nitrate in drinking-water is established solely to prevent methaemoglobinaemia]. En 2006, sans donner d’explications, la Commission des Communautés européennes a, pour sa part, confirmé ses teneurs maximales en nitrates NO3- dans les épinards et les laitues: selon l’espèce et la période de récolte, entre 2000 et 4000 mg NO3- kg-1. Les autres légumes ne sont pas sujets, pour les nitrates, à de telles limites réglementaires.

Pour prévenir la méthémoglobinémie du nourrisson, la logique administrative qui consiste, comme il a été fait jusqu’à présent, à limiter réglementairement les teneurs en nitrates dans l’eau de consommation et certains légumes apparaît discutable ou critiquable. Elle omet le facteur bactériologique.  

Prenons, par exemple, en considération la soupe de betteraves maintenue à température ambiante pendant 48 h et la soupe de carottes à 0 h.

La soupe de betteraves à 48 h contient, en moyenne, 109 bactéries par ml, 523 mg de nitrates (NO3-) par litre et 578 mg de nitrites (NO2-) par litre.

La soupe de carottes à 0 h contient, en moyenne, 105 bactéries par ml, 163 mg de nitrates (NO3-) par litre et 0,1 mg de nitrites (NO2-) par litre.

La concentration moyenne en nitrate NO3- est 3 fois plus élevée dans la soupe de betteraves à 48 h que dans la soupe de carottes à 0h.

La concentration moyenne en nitrite NO2- est 5780 fois plus élevée dans la soupe de betteraves à 48 h que dans la soupe de carottes à 0h  

Prenons maintenant en considération la soupe de carottes maintenue à température ambiante pendant 48 h à la soupe de betteraves à 0h.

La soupe de carottes maintenue à température ambiante pendant 48 h contient, en moyenne, 108 bactéries par ml, 6,7 mg de nitrates (NO3-)  par litre et 187 mg de nitrites (NO2-) par litre.

La soupe de betteraves à 0 h contient, en moyenne, 105 bactéries par ml, 2625 mg de nitrates (NO3-) par litre et 2,1 mg de nitrites (NO2-) par litre.

La concentration moyenne en nitrate est 390 fois plus faible dans la soupe de carottes à 48 h que dans la soupe de betteraves à 0 h.

La concentration moyenne en nitrite est 90 fois plus élevée dans la soupe de carottes à 48 h que dans la soupe de betteraves à 0 h  

Il ne paraît donc pas raisonnable de se baser sur les teneurs en nitrates des soupes de légumes pour évaluer correctement, et avec la fiabilité voulue, le risque méthémoglobinémique auquel on expose le nourrisson.

Alors que sa teneur en nitrates est extrêmement élevée: 2625 mg NO3- l-1, la soupe de betteraves à 0h, avec seulement 2,1 mg NO2- l-1, fait courir au nourrisson un risque méthémoglobinémique ou négligeable ou nul.

A l’inverse, alors que sa teneur en nitrates est extrêmement faible: 6,7 mg NO3- l-1, la soupe de carottes que 48 heures à température ambiante ont transformée, on l’a vu, en véritable «bouillon de culture» (108 bactéries par ml) contient, de ce fait, un taux de nitrites très élevé: 187 mg NO2- l-1. Malgré le taux faible en nitrates de la préparation: 6,7 mg NO3- l-1, qui pourrait à tort rassurer, le nourrisson qui consomme une telle soupe de carottes bactériologiquement contaminée est soumis à un risque méthémoglobinémique majeur.

Il est à espérer que l’article des auteurs estoniens ait pour effet d’inciter les organismes officiels, auteurs des directives, à revoir leurs raisonnements et leurs normes.

Il va de soi que le facteur bactériologique est, de loin, prépondérant.

(A suivre)

This entry was posted in Etude expérimentale, Griefs, Législation, Méthémoglobinémie and tagged , , , , , , , , , , , , , , , , , , . Bookmark the permalink.

Comments are closed.