Les “rois des montagnes”

Gilbert-Kawai, E.T., Milledge, J.S., Grocott, M.P.W. and Martin, D.S. (2014) King of the mountains: Tibetan and Sherpa physiological adaptations for life at high altitude. Physiology (Bethesda) 29, 388-402

(voir l'abstract ici)

L’hypoxie d’altitude est une hypoxie hypobare. En altitude, la diminution de pression de l’air atmosphérique se traduit par une diminution de pression partielle de chacun des gaz qui le compose. Elle se traduit, en particulier, par une diminution de pression partielle en oxygène O2.

Chez l’homme, les modifications physiologiques provoquées par l’hypoxie hypobare s’observent à partir de 3000 mètres. Dans certaines zones géographiques habitées, l’altitude peut dépasser 4000 mètres. Il s’agit notamment du plateau tibétain, des vallées himalayennes, de la cordillère des Andes, des plateaux éthiopiens. Parmi ces régions, avec une surface excédant les 3 millions de km2, les plateaux du Tibet et du Qinghai constituent la zone habitée à la fois la plus élevée et la plus vaste [Although many places on the planet have resident populations above 3,000 m, the elevation at which the majority of people demonstrate physiological changes to hypobaric hypoxia, three main regions host populations over 4,000 m. These are the Tibetan plateau and Himalayan valleys, the South American Andes, and the Ethiopian Highlands. Covering some 1.5 million square miles of central Asia, the Qinghai-Tibetan plateau is both the largest and the highest].

Depuis les expéditions au mont Everest des années 1920, la réputation des sherpas, de leur tolérance extraordinaire à l’hypoxie d’altitude, est devenue légendaire [Since the early expeditions to Mount Everest in the 1920s, tales of Sherpas’ extraordinary tolerance to hypoxia at high altitude have been commonplace. Stories of their superior exercise and endurance abilities and the ease at which they outperform their Western counterparts have become legendary].

A l’occasion d’une vaste revue de la littérature, les auteurs britanniques [Centre for Altitude Space and Extreme Environment (CASE) Medicine de l’University College de Londres] recueillent 169 articles consacrés depuis les années 1950 aux différences physiologiques distinguant les Tibétains/sherpas des sujets vivant à plus faible altitude [The purpose of this literature review is therefore to summarize the physiological differences between Sherpas/Tibetans and lowlanders].

▪ Les auteurs britanniques considèrent que cette tolérance à l’hypoxie d’altitude attribuée aux Tibétains et aux sherpas est vraisemblablement d’origine multifactorielle [Undoubtely, of these many adaptations, there is not one sole mechanism that allows for their suggested hypoxia tolerance].

On retiendra ici deux critères:

- la concentration en hémoglobine,

- le métabolisme de l’oxyde nitrique.

▪ La concentration en hémoglobine est plus faible chez le Tibétain que chez le Chinois d’ethnie Han. Certes, dans les deux populations celle-ci augmente avec l’altitude. Elle reste, en moyenne, de 1 à 3 g/dl inférieure dans la population tibétaine.

Selon Wu et coll. (2005), mesurée en g/dl, la concentration moyenne en hémoglobine des Tibétains et des Chinois d’ethnie Han se répartit de la manière suivante en fonction de l’altitude:

 

2000 à 3000 m

3000 à 4000 m

4000 à 5000 m

5000 à 6000 m

Tibétain

14.3

15.2

15.8

15.8

Tibétaine

13

14.5

14.9

15.0

Chinois d’ethnie Han

15.2

18.1

18.4

19.4

Chinoise d’ethnie Han

14.6

15.8

17.9

17.9

Cette relative anémie chez le Tibétain surprend. A première vue, elle semblerait contre-productive. Pour le raisonnement, les auteurs évoquent cependant un effet «à double tranchant» de la polyglobulie. Augmentant la viscosité sanguine, des taux élevés d’hématocrite pourraient finir, par exemple, par avoir des effets défavorables sur l’hémodynamique et le transport d’oxygène [Although this relative anemia in Tibetans may on first thought seem detrimental, the «two-edged sword» analogy of polycythemia provides a possible explanation. Undoubtely, increased [Hb] augments systemic oxygen content; however, elevated Hct levels increase blood viscosity, alter its rheology, and decrease cardiac output and oxygen delivery].

▪ Le role de l’oxyde nitrique NO est, par ailleurs, souligné dans d’assez nombreuses études [Its potential role in adaptation to hypoxia has been highlighted in a number of studies].

En 2001, Schneider et coll. comparent, par exemple, la fonction vasculaire de sujets habitant les montagnes himalayennes à celle de sujets qui, originaires du bord de la mer, viennent juste d’arriver à 5000 mètres. Ils étudient, chez les uns et les autres, la vitesse du flux sanguin [blood flow velocity] en regard de l’artère fémorale après une ischémie expérimentale de jambe de 2 minutes. La vitesse du flux sanguin est trouvée plus importante chez les premiers que chez les seconds. Une différence dans le métabolisme de l’oxyde nitrique NO pourrait l’expliquer [The authors concluded disparities were likely due to differences in conduit vessel function and theorized this could be due to NO].

En 2007, Erzurum et coll. notent, pour leur part, que, mesuré par pléthysmographie, le flux sanguin à l’avant-bras est plus de deux fois plus élevé, au repos comme après exercice, chez le Tibétain que chez l’Américain. Et les concentrations plasmatiques en nitrate NO3- sont 10 fois plus élevées chez le premier que chez le second [Subsequent blood flow-related research demonstrated Tibetans, compared with a sea-level population, had more than double the forearm blood flow with more than 10 times the concentration of circulating concentrations of bioactive NO products].[Cf. rubrique du 30 octobre 2009].

Dans leur conclusion les auteurs britanniques laissent cependant percer comme un doute. Ils ne semblent pas absolument convaincus de la réputation des Tibétains et des sherpas en matière de tolérance à l’hypoxie. Avant qu’à leurs yeux, les habitants de ces hauts plateaux d’Asie centrale méritent définitivement cette digne réputation de «rois des montagnes», ils ne dédaigneraient pas de voir quelques études spécifiques supplémentaires en apporter la confirmation [Explaining the wide interindividual variability in performance that occurs as a consequence of hypoxia will also allow us to prove or refute Tibetan’s and Sherpas’s mythical claim to be «kings of the mountains»].

Commentaire du blog

Le travail d’Erzurum et coll. date de 2007. On aimerait que des travaux à venir mesurent à nouveau les concentrations plasmatiques en nitrate NO3- chez les sujets vivant en haute altitude, de manière à certifier que, chez eux, ces concentrations sont bien dix fois supérieures à celles des sujets témoins vivant en plaine. 

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