Nitrates alimentaires: traitement additionnel de l’hypertension artérielle

Kapil, V., Khambata, R.S., Robertson, A., Caulfield, M.J. and Ahluwalia, A. (2015) Dietary nitrate provides sustained blood pressure lowering in hypertensive patients. A randomized, phase 2, double-blind, placebo-controlled study. Hypertension 65, 320-327

(voir l'abstract ici)

La synthèse endogène d’oxyde nitrique NO et de nitrates NO3- est diminuée chez le patient atteint d’hypertension artérielle (Forte et coll., 1997). Il est logique de chercher dans un but thérapeutique à restaurer, chez lui, les teneurs physiologiques de NO et de NO3-.

De nombreuses études ont déjà porté sur l’effet hypotensif des nitrates alimentaires [voir notamment les rubriques des 28 septembre, 1er, 5 et 15 octobre 2010, 12 juin, 16 et 20 septembre 2012, 12 février, 30 juin, 11 et 24 septembre 2013, 31 janvier et 14 février 2014]. Cet effet hypotensif des nitrates alimentaires a été vérifié chez l’adulte sain, le sujet âgé [rubrique du 12 février 2013] et le sujet à risque cardiovasculaire [rubrique du 31 janvier 2014]. Deux méta-analyses ont été présentées [rubrique du 11 septembre 2013 et du 14 février 2014].

Une seule étude, celle de Ghosh et coll., a porté chez l'homme sur l’effet hypotensif des nitrates alimentaires en cas d’hypertension artérielle [rubrique du 30 juin 2013]. 15 sujets atteints d’hypertension artérielle débutante ont reçu 217 mg de nitrate NO3-, sous forme de jus de betterave concentré. Entre la 3ème et la 6ème heures, leurs tensions artérielles systolique et diastolique diminuaient, en moyenne, de 11,2 et 9,6 mm Hg.

Les auteurs britanniques [William Harvey Research Institute, Barts; London School of Medicine and Dentistry, Londres, Royaume-Uni] présentent ici une étude nettement plus élaborée. L’étude clinique est construite en double aveugle contre placebo. Elle porte sur 68 patients âgés de 18 à 85 ans, 34 ayant une hypertension non traitée, 34 une hypertension traitée à l’aide de médications diverses.

Pendant 4 semaines, les patients reçoivent chaque jour, le matin,

- soit 250 ml d’un jus de betterave (James White Drinks Ltd, Ipswich, UK) apportant 396 mg de nitrate NO3-,

- soit 250 ml d’un jus de betterave déplété en nitrate (James White Drinks Ltd, Ipswich, UK) n’apportant que 0.5 mg de nitrate NO3-.

L’expérience est suivie d’un washout de 2 semaines.

▪ Pendant les 4 semaines de l’étude, la concentration plasmatique en nitrite NO2- augmente fortement chez les sujets qui ingèrent le jus de betterave nitraté. Passant, en moyenne, d’une valeur de départ de 13.8 μg NO2- l-1 à une valeur de 36.8 NO2- l-1, elle est ainsi multipliée par un facteur de 2.7.

▪ La tension artérielle est vérifiée de trois manières différentes [The primary end point was change in clinic, ambulatory and home blood pression compared with placebo] (Voir la description des trois méthodes dans la rubrique du 21 décembre 2014).

Comparant les chiffres tensionnels enregistrés chez les patients recevant le jus de betterave nitraté et chez ceux qui reçoivent le jus de betterave déplété en nitrate, les auteurs constatent que, pendant les 4 semaines, l’ingestion du jus de betterave riche en nitrate contribue à faire baisser nettement la tension artérielle, comme le montre le tableau suivant:

 

Mesure de la tension artérielle au repos

Monitoring ambulatoire de la pression artérielle

Monitoring de la pression artérielle à la maison

Baisse moyenne de la tension artérielle systolique (mm Hg)

7.7

7.7

8.1

Baisse moyenne de la tension artérielle diastolique (mm Hg)

2.4

5.2

3.8

Par contre, l’effet ne se prolonge pas au-delà des 4 semaines de l’expérience. Lors du washout de 2 semaines qui suit, les chiffres tensionnels remontent, revenant presque à leurs valeurs initiales.

Les auteurs constatent, en outre, que chez ces sujets hypertendus, l’ingestion de jus de betterave riche en nitrate améliore la fonction artérielle. La vasodilatation flux-dépendante est majorée, la vitesse de l’onde de pouls ralentie (de 0.59 m/s).

A noter aussi que, chez les participants à l’étude, le taux de méthémoglobine a pu être vérifié. Aucune tendance à la méthémoglobinémie n’est constatée [In this study, no suggestion of significant methemoglobinemia was evident].

Les auteurs font remarquer que, malgré les anciennes craintes théoriques concernant les éventuelles potentialités carcinogènes des nitrates via les nitrosamines, il convient d’être pleinement rassuré à cet égard, vu l’expérimentation animale de 2 ans, menée chez le rongeur avec les nitrites dans le cadre de l’US National Toxicology Program (2001), vu aussi le rapport 2003 de l’Organisation Mondiale de la Santé, prenant en considération les études de cohorte effectuées chez l’homme. Bien plus, on sait maintenant que la consommation de légumes, riches en nitrate, est associée, non pas à une augmentation du l’incidence des cancers, mais plutôt à une légère diminution de celle-ci [Although there are well established links between preformed nitrosoamines and carcinogenesis, recent US National Toxicilogy Program reports on 2-year rodent feeding studies with nitrite and a comprehensive World Health Organization report summaring epidemiological cohort studies in humans evaluating the risk of cancer with nitrate have largely assuaged concerns on carcinogenesis. Importantly, vegetable intake is associated with small reductions in cancer incidence, rather than increases].

En l’absence de risques réellement reconnus, ce travail britannique ouvre de grandes perspectives thérapeutiques. On sait que, de nos jours, la moitié seulement des patients hypertendus sont convenablement traités [Only ~ half of hypertensives are treated for their blood pressure], alors qu’une hypertension non corrigée les expose au développement de maladies cardiovasculaires diverses. Avec la supplémentation en nitrate, sous la forme d’ingestions quotidiennes et régulières de jus de betterave ou de légumes riches en nitrate, on dispose maintenant à l’égard de l’hypertension artérielle d’un moyen thérapeutique additionnel à la fois simple, peu coûteux et efficace [With large populations of inadequately treated patients with hypertension at higher risk of cardiovascular diseases, an additional strategy, based on intake of nitrate-rich vegetables, may prove to be both cost-effective, affordable, and favorable for a public health approach to hypertension].

Commentaire du blog

Cet article était attendu. Il devrait fortement intéresser le milieu de la cardiologie.

Une phrase des auteurs: “There are well established links between preformed nitrosoamines and carcinogenesis” peut prêter à confusion.

Certes, en 1956, Magee et Barnes ont indiqué que, chez le rat, l’ingestion de fortes doses de nitrosodiméthylamine favorisait l’apparition de tumeurs malignes hépatiques. Mais, chez l’homme, il n’a jamais été réellement possible de montrer que l’ingestion de dérivés N-nitrosés était source de cancers. Par ailleurs, la quantité de dérivés N-nitrosés formés chez l’homme à partir des nitrates quotidiennement ingérés est extrêmement faible, plusieurs centaines de milliers de fois plus faible que la dose dite «sans effet» chez l’animal.

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