Comly, H.H. (1945) (1987) Cyanosis in infants caused by nitrates in well water. Journal of the American Medical Association 129, 112-116 and 257, 2788-2792
(en l'absence d'abstract, voir ici les 150 premiers mots de l'article publié à nouveau en 1987)
Ecrit en 1945, l’article de Hunter H. Comly marque assurément le départ du débat scientifique sur les nitrates et la santé. A lui seul, il constitue la base sur laquelle s’appuie la réglementation sur les nitrates, une réglementation administrative mise en place en 1962 et non modifiée jusqu’à ce jour.
On mesure son importance historique. Pédiatre américain exerçant dans l’Etat de l’Iowa, Hunter H. Comly publie son article en 1945 dans le Journal of the American Medical Association (JAMA). Comme nous le verrons, l’interprétation qu’il donne des faits est entachée d’erreurs. Il n’est pas dans notre intention d’accabler l’auteur, qui écrit avec les connaissances de son époque. Il est cependant permis de regretter le long fourvoiement scientifique qui s’en est suivi.
Dans son service de pédiatrie, H.H. Comly a l’occasion d’examiner deux nourrissons d’environ un mois qui présentent des cyanoses transitoires et répétitives, ainsi, d’ailleurs, que quelques phénomènes diarrhéiques. Les enfants guérissent sans séquelles.
Chez le premier nourrisson, lorsque le taux de méthémoglobine est dosé, il est normal : 1,29% (taux physiologique inférieur à 2%). Par contre, l’eau de puits avec laquelle les biberons sont préparés contient de forts taux de nitrates: 530 et 619 mg NO3- par litre lors de deux dosages; elle est l’objet d’une importante contamination bactériologique (colibacilles); elle contient ainsi des nitrites: 0.4 mg NO2- par litre.
Chez le second, le taux de méthémoglobine est élevé, atteignant jusqu’à 20 %. L’eau de puits qui sert à la préparation des biberons est riche en nitrates: 388 mg NO3- par litre; elle est bactériologiquement contaminée; elle contient des nitrites: 1,3 mg NO2- par litre.
Dans ses commentaires, H.H. Comly relate de manière incomplète une vingtaine d’autres cas qui, dans l’Etat de l’Iowa, auraient pu être similaires. Certains de ces nourrissons sont diarrhéiques.
Puis, à propos de ses deux cas personnels, s’appuyant sur des publications précédentes, il livre son interprétation
En 1943, les travaux de Greenberg et coll. ont montré que les ions nitrite peuvent transformer l’hémoglobine en méthémoglobine. En 1932, les travaux de ZoBell ont montré qu’in vitro de nombreux microorganismes, qui peuvent être présents dans l’intestin, sont capables de convertir les nitrates en nitrites.
H.H. Comly propose donc l’interprétation suivante. La méthémoglobinémie de ces nourrissons est consécutive à l’ingestion d’eau de puits riche en nitrates. L’ion nitrate est probablement converti en ion nitrite dans l’intestin par suite d’une action bactérienne. L’ion nitrite passe dans le sang et transforme l’hémoglobine en méthémoglobine. [
Thus it would seem that the methemoglobinemia of the infants of this report was produced as the result of the ingestion of well water containing large amounts of nitrate compounds. The nitrate ion was probably converted to the nitrite ion in the intestine by bacterial action. The nitrite ion, so formed, was absorbed and reacted with hemoglobin to form methemoglobin.]
Puis il propose des conseils pratiques. A son époque, les taux de nitrate dans les eaux de puits de l’Iowa peuvent être considérables, pouvant atteindre jusqu’à 2500 mg NO3- par litre.
Bien qu’il ne soit pas en mesure d’être formel, H.H. Comly conseille alors d’éviter de préparer des biberons avec des eaux de puits qui contiendraient plus de 44,3, ou à la rigueur, plus de 88,6 mg NO3- par litre [Although no definite statement can be made, it would seem advisable to recommend that well water used in infant feeding possess a nitrate content no higher than 10 or, at most, 20 parts per million.]
Commentaires du blog
On ne peut reprocher à H. H. Comly d’avoir, en 1945, ignoré des notions scientifiques qui ne furent connues qu’une vingtaine ou une trentaine d’années plus tard, au cours des années 1960 et 1970, à savoir:
- l’absence de passage des nitrates d’origine alimentaire vers le côlon, la quasi-totalité étant, en effet, absorbée dans l’estomac et la partie haute de l’intestin grêle (duodénum et jéjunum),
- la nécessité d’une nette pullulation bactérienne, avec un nombre de germes supérieur à 106 ou 107 par millilitre, pour que, dans un milieu (urine dans la vessie, eau dans un puits, lait dans un biberon), les nitrates éventuellement présents commencent à être transformés en nitrites,
- la possibilité d’apparition d’une méthémoglobinémie au cours de la gastro-entérite du nourrisson, indépendamment de tout apport nitraté.
On sait donc maintenant que l’interprétation de Comly était erronée. En réalité, les méthémoglobinémies du nourrisson liées à la préparation d’un biberon avec du lait en poudre et de l’eau de puits étaient dues à un autre mécanisme. L’eau de puits contenant des nitrates était bactériologiquement contaminée. Le nombre de germes étant supérieur à 106 ou 107 par millilitre dans le biberon lui-même, les nitrates y étaient transformés, en partie ou en totalité, en nitrites. Ingérant des nitrites, le nourrisson développait une méthémoglobinémie.
Il en résulte
- d’une part, qu’il n’existe aucun lien entre le taux de nitrates dans l’eau de boisson et le risque de méthémoglobinémie,
- d’autre part, que le risque est lié à la qualité bactériologique de l’eau utilisée,
- et qu’ainsi il n’existe aucun risque de méthémoglobinémie du nourrisson avec un biberon préparé avec de l’eau d’adduction publique (moins de 102 germes par millilitre; d’où 0 cas scientifiquement avéré de méthémoglobinémie du nourrisson consécutif à la préparation d’un biberon avec de l’eau d’adduction publique dans le monde depuis 1945 jusqu’à nos jours).
On ne peut reprocher aux membres de l’US Public Health Service d’avoir, en se fondant sur les approximations de Comly, recommandé en 1962 une limite maximale réglementaire de 10 mg NO3--N par litre, soit 45 mg NO3- par litre, dans l’eau d’adduction publique. Ils ne connaissaient pas les éléments ci-dessus.
Mais depuis ces notions ont été portées à la connaissance du monde scientifique.
La seule raison qui motive la réglementation des nitrates dans l’eau d’adduction publique reste, aux yeux de l’OMS (1993), la prévention de la méthémoglobinémie du nourrisson. Les chiffres de 45 mg NO3- par litre aux Etats-Unis et de 50 mg NO3- par litre en Europe applicables à l’eau d’adduction publique viennent, on le voit, d’un article de 1945 ayant porté sur l’eau de puits et sont scientifiquement inadaptés.
Les années passant, l’absence d’initiative, à ce sujet, du Comité d’experts sur les Additifs Alimentaires de l’OMS et de la FAO (JECFA), du Comité Scientifique de l’Alimentation Humaine de la Commission des Communautés européennes (CSAH) et également des experts américains déconcerte. Les raisons qui l’expliquent sont peut-être à chercher en dehors de la sphère strictement scientifique.