Très bon article dans «Science et Vie»

Capronnier, O. (2012) Nitrates. Attention, ils sont bons pour la santé! Science et Vie, n°1141, 96-101.

Publié dans une revue grand public, cet article se présente comme une «enquête sur un malentendu».

L’auteur part d’une contradiction «flagrante». D’un côté, depuis 1980, les autorités sanitaires fixent une teneur maximale réglementaire dans l’eau potable de 50 mg/l et proposent une DJA [Dose Journalière Admissible (donc maximale)] de 222 mg pour un adulte de 60 kg. De l’autre, elles encouragent la consommation de légumes, alors que certains d’entre eux contiennent «jusqu’à 5.000 mg de nitrate par kilogramme».

Pour «s’y retrouver dans cet imbroglio», l’auteur met en avant le rôle de l’oxyde nitrique NO, fabriqué dans notre organisme à partir de ces nitrates alimentaires. Elle mentionne les travaux de l’équipe de Jon Lundberg, du Karolinska Institute de Sockholm. Elle cite Mark Gilchrist de l’Université d’Exeter [Royaume-Uni].

Un schéma en couleur, fort bien dessiné, montre les trois effets bénéfiques principaux des nitrates NO3-, consécutifs à leur transformation en oxyde nitrique NO.

1) «Ils ont une action antiseptique», par l’intermédiaire d’une transformation dans la salive. «Ils sont réduits en nitrites NO2- par des bactéries hébergées dans les petites aspérités de la langue.» Et les nitrites sont ensuite transformés en peroxynitrite ONOO-. «Sans eux, nos dents seraient tout le temps cariées, nos bouches envahies de mycose, nous serions assaillis par les microbes Salmonella, Listeria et autres Shigella

2) «Ils rendent les muscles plus endurants». «L’oxyde nitrique NO est sollicité pour soutenir la production d’énergie des mitochondries dans les cellules». «Le rendement énergétique des muscles» est amélioré, ce qui dope les performances. Un encadré rappelle l’anecdote du Tour de France 2011 [Cf. rubrique du 28 janvier 2012]: le jus de betterave y est présenté comme «la nouvelle «potion magique» des sportifs»

3) «Ils renforcent le système cardiovasculaire». Grâce à l’oxyde nitrique NO, «les cellules musculaires des vaisseaux se relâchent et la pression artérielle diminue. Les plaquettes s’agrègent moins.». Ces processus contribuent «à éviter les accidents cardiovasculaires

«Mais alors», poursuit l’auteur, «d’où les nitrates tirent-ils encore leur mauvaise réputation?»

- «Essentiellement de travaux publiés…en 1945!» Elle rappelle la méprise de Hunter Comly, ce pédiatre américain qui pensait que les méthémoglobinémies du nourrisson, qu’il avait eu l’occasion d’observer, étaient consécutives à la présence de nitrates NO3- dans le biberon, alors qu’en réalité, elles étaient consécutives à la présence de nitrites NO2-, l’eau de puits nitratée utilisée pour la préparation des biberons ayant été bactériologiquement contaminée. Comme le dit l’auteur de cet article, «c’est le cocktail nitrates/bactéries qui présente un danger pour le nouveau-né, pas les nitrates seuls

- Reste «l’autre crainte», «leur effet cancérogène». Cette crainte est toujours présente chez certains, tels Mary Ward ou Yann Grosse, cités ici par l’auteur.

Pour la première, par exemple, le paradoxe des régimes à base de fruits et légumes, riches en nitrate, qui seraient «protecteurs», «vis-à-vis du cancer de l’estomac» s’expliquerait par la présence dans ces mêmes fruits et légumes d’«éléments capables de limiter la fabrication des composés nitrosés».

Pour le second, membre du Centre International de Recherche sur le Cancer [CIRC, Lyon], la classification par le Centre des nitrates comme «cancérogènes probables» vient de la prise en considération de conditions favorables à la nitrosation, telles une pauvreté de l’alimentation en vitamine C ou une acidité de l’estomac réduite.

En réalité, comme l’explique l’auteur, ce risque n’est pas confirmé. Elle cite Nathan Bryan, professeur au Texas Therapeutic Institute de Houston. Celui-ci est explicite: «Les conclusions du Centre International de Recherche sur le Cancer [CIRC] reposent sur des preuves indirectes à la portée très limitée et incluent des études de mauvaise qualité. De plus aucune des études épidémiologiques menées depuis ne confirme le risque cancérigène lié aux nitrates

Le raisonnement de l’auteur de l’article se poursuit: «Pourquoi, dans ces conditions, ne pas organiser une réévaluation de la dose journalière admissible et du seuil de potabilité de l’eau du robinet?»

Pour elle, aujourd’hui «seul le principe de précaution empêche de relever le seuil fixé

D’où la dernière question: «Faut-il toujours priver la grande majorité de la population des bénéfices cardiovasculaires des nitrates?»

Commentaire du blog

1) L’explication de Mary Ward [National Cancer Institute, USA] n’est pas scientifiquement recevable.

Les nitrites NO2- qui, dans l’estomac, sont mis en contact avec les amines pour y être transformés en nitrosamines (les «composés nitrosés») ne proviennent pas directement des nitrates NO3- alimentaires. Ils en proviennent, en réalité, très indirectement.

Les nitrates NO3- alimentaires arrivent, non transformés, sous forme de nitrate NO3- dans l’estomac. Ils sont, par la suite, absorbés dans l‘estomac et la partie haute de l’intestin grêle, et parviennent dans le plasma. Dans le plasma, les ions nitrate NO3- provenant des légumes, les ions NO3- provenant de l’eau de boisson, les ions nitrate NO3- provenant de la synthèse endogène des nitrates, par la voie de la L-arginine-NO synthase, sont tous mélangés.

Ces ions nitrate NO3- présents dans le plasma, de toutes origines, sont ensuite puisés sous forme active par les glandes salivaires, qui les font passer à forte concentration dans la salive. Lors de ce deuxième passage dans la cavité buccale, les nitrates NO3- salivaires sont transformés en nitrite NO2- grâce aux bactéries de la flore buccale. Ce sont ces nitrites NO2- salivaires, déglutis, parvenant dans l’estomac et mis en présence d’amines, qui sont partiellement transformés en nitrosamines.

Supposons un instant que l’explication de Mary Ward soit correcte. Il faudrait, non seulement minimiser les apports en nitrate provenant de l’eau de boisson, mais aussi éviter les efforts physiques et sportifs, qui accentuent la synthèse endogène en oxyde nitrique NO et en nitrate NO3-. Il faudrait, par ailleurs, déglutir le moins possible de nitrates salivaires; autrement dit, pour ne pas déglutir la salive, il faudrait sans cesse la cracher. Le côté déraisonnable de la déduction saute aux yeux. L’«explication» de Mary Ward n’est pas scientifiquement défendable.

2) L’explication de Yann Grosse ne convainc pas non plus. Aucune preuve scientifique n’appuie ses hypothèses. De plus, comme on le sait, les teneurs plasmatiques en nitrate des Tibétains vivant à 4200 mètres d’altitude sont, en permanence, près de dix fois supérieures à celles de sujets vivant au bord de la mer [rubrique du 30 octobre 2009]. Si sa crainte était justifiée, on en viendrait à déconseiller la vie en altitude…

3) L’article récent de Nathan Bryan auquel l’auteur fait allusion sera présenté dans une prochaine rubrique.

4) Dans notre pays, les fortes avancées scientifiques sur le thème nitrates-santé sont ignorées, voire occultées, par la plupart des médias, qu’ils soient écrits ou audio-visuels. Jusqu’à présent, seul l’hebdomadaire «La France Agricole» a rendu compte de l’innocuité des nitrates (hormis le cas du biberon préparé avec une eau de puits à la fois nitratée et bactériologiquement contaminée [106 germes ml-1]) et de leurs nombreux effets bénéfiques pour la santé [rubrique du 8 avril 2011]. Le mensuel «Science et Vie» le rejoint. Un mur ne serait-il pas en train de se lézarder?

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